Figure majeure de la philosophie islamique moderne, l’Égyptien Muṣṭafa ʿAbd-al-Rāziq contribua à la renaissance des études islamiques en Égypte, en particulier dans le domaine de la philosophie. Sa proximité intellectuelle avec Massignon, ainsi que le fil de leurs échanges durant plus de trente ans, révèlent un rapport de complémentarité entre ces deux esprits.

Au cours de l’année 1912-1913, Louis Massignon a la charge, en langue arabe, d’un cours sur les doctrines philosophiques à l’Université du Caire. Parmi ses étudiants, plusieurs deviendront des figures de renom.Maḥmūd al-Khuḍayrī, futur traducteur de Descartes en arabe, Aḥmad Ḍayf, futur directeur de la bibliothèque nationale égyptienne, Manṣūr Fahmī, futur doyen de la Faculté des Lettres de l’Université du Caire, Taha Hussein, futur « Doyen des Lettres arabes », ainsi qu’un  un jeune philosophe : MuṣṭafaʿAbd al-Rāziq.  Ce dernier, au cours de sa formation initiale à al-Azhar, avait été conquis par l’idéal de réforme préconisé par Muḥammad ʿAbduh ainsi que par sa Risālat al-Tawḥīd (1897), œuvre qu’il traduira au français (Le Traité de l’Unité divine, 1925).
M. ʿAbd al-Rāziq poursuit sa formation en France, où il étudie avec Emile Durkheim et où il rédige une thèse doctorale consacrée à l’Imām al-Shāfiʿī. De retour en Égypte, il est tour à tour professeur de philosophie à l’Université du Caire, ministre des awqāf, et recteur de l’Université al-Azhar.

Dans son ouvrage Tamḥid lī ta’rīkh al-falsafa al-islāmiyya (Introduction à l’histoire de la philosophie islamique), M. ʿAbd al-Rāziq propose une nouvelle approche de l’histoire de la philosophie et approfondit les idées des réformateurs. Il réhabilite diverses disciplines, dont le taṣawwuf (la mystique musulmane), au sein de la philosophie islamique et soutient qu’il est vain d’opposer les écoles soufies avec la science et la rationalité. Témoin de son intérêt pour le « taṣawwuf » et de la richesse de ses échanges avec Massignon sur ce sujet, l’article « taṣawwuf » de l’édition arabe de l’Encyclopédie de l’Islam : ce texte, composé de l’article de Massignon, suivi d’un complément substantiel rédigé par le philosophe égyptien, témoigne de la convergence de leurs intérêts et de la complémentarité de leurs approches.

La revue Al-Maʿrifa, fondée par M. ʿAbd al-Rāziq au Caire en 1931, a conservé la trace de l’intérêt du philosophe pour le travail de Massignon : M. ʿAbd al-Rāziq y cite notamment son Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane ainsi que ses recherches consacrées à Rābiʿa al-ʿAdawiyya. En 1941, la relation entre les deux hommes devient collégiale : M. ʿAbd al-Rāziq est élu membre de l’Académie de langue arabe du Caire, où travaille Massignon depuis 1934. Autour de la mystique, de la philosophie et de la langue arabe, leurs échanges furent source d’enrichissement mutuel. Lorsqu’en 1947 le Shaykh quitta ce monde, Massignon rendit lui rendit hommage en ces termes : 

« Je me souviens du sourire plein d’amitiés avec lequel il m’avait promis d’aller ensemble à Behnesa, lieu d’origine de sa famille, cité fameuse dans les fastes de la conquête musulmane de l’Égypte. J’y suis allé seul, visitant seul les tombeaux de sa famille, à l’ouest de leur demeure patriarcale de Beni-Mazar, à l’orée du désert. Et, quelques mois plus tard, j’allais pour le « ta’bîn », à sa jolie résidence cairote de Menchiyet el-Bekri, et chez son frère de prédilection, Ali Abdal Râzek ». 

FO


 

Bibliographie :