Ami et correspondant de  Charles de Foucauld (1850-1916, Henry de Castries est une figure nodale de l’histoire coloniale du Maghreb et de l’islamologie française. 

Issu d’une famille aristocratique, ce qui l’amène à être un actif conseiller-général du Maine-et-Loire (1884-1914), marié à Isabelle de Lamoricière, fille du colonisateur de l’Algérie et commandant des zouaves pontificaux, saint-cyrien, il combat comme colonel de la territoriale pendant la Première Guerre mondiale. 

Mais c’est avant tout comme topographe, géographe et fondateur de l’histoire scientifique de l’empire marocain qu’il reste célèbre. Officier de bureau arabe dans le Sud-Ouest oranais entre 1875 et 1882, homme de terrain, il est nommé, par Lyautey, en 1919, conseiller historique du gouvernement chérifien, ce qui lui permet de se vouer à son grand-œuvre : Les Sources inédites de l’Histoire du Maroc dont il publiera 15 volumes. 

Figure complexe et contrasté, Castries est un catholique intransigeant, mais qui devient, au contact de l’Islam, un « croyant abrahamique pratiquant un monothéisme traversant les confessions » (Daniel Rivet) ; aristocrate de vieille roche, il témoigne d’un vif sens social et d’un dévouement permanent aux plus démunis ; colonialiste fervent, on le voit par ailleurs fraterniser sous la tente avec les bédouins et témoigner d’une indigénophilie rare à l’époque. Maints aspects de sa personnalité entrent résonnance avec la figure de Louis Massignon.

Louis Massignon  entre en contact avec de Castries en 1904, à l’heure du raid Tanger-Fès-Tanger, et lui rendra un hommage public, au nom du Comité d’Afrique française, lors de ses obsèques parisiennes, le 13 mai 1927. 

Entre ses deux dates, outre l’échange de 5 lettres (inédites) entre 1906 et 1925, c’est à Castries, aux fins d’être remis à Foucauld, qu’il confie son travail sur Léon l’Africain,  demandant à H. de Castries, ainsi qu’il le rapporte dans  « Toute une vie avec un frère parti au désert » : 

 Vivant ? –

 Oui, mais il a raté sa vie, retiré comme prêtre libre du côté de Béni-Abbès  (….) Lyautey, nommé à Ain-Sefra, dîne ici ce soir ; il portera votre livre à Foucauld. »

Castries joue donc à deux niveaux dans la vie de Massignon comme intercesseur avec la personne d’un Charles de Foucauld lointain et inconnu et comme catholique ayant amorcé avec l’Islam une route commune, érudite et confraternelle, ouvert une perspective dans laquelle s’engagera Massignon.

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Citation de Louis Massignon sur Henry de Castries : 

« L’amitié féconde en œuvres qu’il entretint toute sa vie avec les meilleurs esprits de l’Islam maghrébin, avec un Ben Rahal, par exemple, atteste qu’il s’agissait chez lui de bien autre chose que d’un entraînement irréfléchi lui faisant oublier les siens ; sympathie mûrement et virilement conçue, aveu d’une dette de reconnaissance, promesse loyalement tenue d’une dette désintéressée. (…) Jamais il n’oublia l’hospitalité arabe que lui avait offerte à ses débuts une grande famille musulmane, sur les hauts plateaux d’Oranie. Une des premiers parmi nos Africains, il avait subi au contact de cette vie patriarcale la crise de conscience qui devait le ramener à ses origines profondes, chrétiennes et françaises, – vers ses pères, par l’amitié. » 

Louis Massignon, L’Afrique française, p. 178


« Henry de Castries devint dans son for intérieur comme un croyant monothéiste à la manière, transposée, des hunafa (hanîf au singulier), les croyants originels d’avant la falsification des écritures par les juifs et les chrétiens trahissant leurs prophètes selon le Coran. Qu’en somme, il entra en affinités avec les héritiers des descendants d’Abraham et, bien que né et élevé dans la religion catholique, il fut tenté de contourner les dénominations confessionnelles établies pour rechercher le monothéisme le moins altéré, le plus proche des origines. » 

Daniel Rivet, Henry de Castries (1850-1927), p.124


Bibliographie : 

  • Henry de Castries, L’Islam : impressions et études (2e édition), Armand Colin , 1896 
  • Les Sources inédites de l’Histoire du Maroc de 1530 à 1845, Archives et bibliothèques de France, 15 tomes, Paris, E. Leroux, 1909.
  • Daniel Rivet, Henry de Castries (1850-1927) – du faubourg Saint-Germain au Maroc, un aristocrate islamophile en république, Paris, IISMM-Karthala, 2022, 239 p.
  • Louis Massignon, « Henry de Castries et l’exemple d’une amitié pour les musulmans français d’Afrique », L’Afrique française, mai 1927.  
  • Louis Massignon, Ecrits Mémorables,  t. 1, « Charles de Foucauld », pp. 91-133, dont « Toute une vie avec un frère parti au désert : Foucauld », pp.125-133, texte de sa conférence lue le 18 mars 1959, à la Sorbonne, pour le centenaire de sa naissance.
  • Charles de Foucauld – Lettres à Henry de Castries, Paris, Grasset, 1938, présentées avec une introduction par Jacques de Dampierre – archiviste-paléographe, 243 p.Autre édition : Charles de Foucauld, Lettres à son ami Henry de Castries – 1901-1916 – sa vie au Sahara, réflexions sur l’Islam, présentées et mises en texte par Brigitte Cuisinier et Jean-François Six, Paris, Nouvelle Cité, coll. « spiritualités », 2011, 316 p.
  • Colloque dédié à « Henry de Castries et le Maroc » , à l’occasion du 90ème anniversaire de la mort d’Henry de Castries, organisé par les Archives du Maroc, en partenariat avec la Bibliothèque Royale (Hassania) de Rabat, 10-11 mai 2017.