Ignaz Goldziher (1850-1921) est un orientaliste hongrois qui a joué un rôle pionnier, voire fondateur, dans l’islamologie universitaire contemporaine. Enfant intellectuellement très précoce, il poursuit après des études rabbiniques, une formation universitaire en langues orientales (turc, persan, arabe) à Budapest, puis à Berlin et Leipzig. Il soutient un doctorat en 1870 – à l’âge de 20 ans –, et effectue un voyage d’études en Syrie et en Égypte en 1873-1874. Au Caire, bien que non musulman, il assiste aux cours de l’université islamique al-Azhar, comme le jeune Massignon le fera en 1909, en portant la toge des étudiants musulmans. Sa renommée internationale, due à ses travaux scientifiques, aurait pu lui offrir bien des opportunités professionnelles à l’université ; mais de façon étonnante, il a exercé toute sa vie une fonction administrative dans une organisation confessionnelle juive à Budapest, préférant rester proche des siens. Ceci ne l’a pas empêché de participer aux grands congrès orientalistes européens, au cours desquels il put fréquenter ses collègues, ainsi que des jeunes en formation, comme Massignon.
L’œuvre d’I. Goldziher traçe une histoire de l’évolution des différents courants de pensée islamiques en se fondant sur la critique des sources écrites. Son analyse du développement de la science des hadiths (paroles attribuées au prophète Muhammad) est fondatrice. Ses écrits abordent aussi, avec une érudition étourdissante, l’exégèse coranique, le droit et la théologie islamique, le chiisme, la mystique, les acquis des cultures antéislamiques, sans oublier des publications sur la pensée juive.
Comme beaucoup, Massignon a considéré Goldziher comme un « maître incontesté des études islamiques ». A titre strictement personnel, les conseils amicaux de Goldziher – son aîné de 33 ans – lui ont été précieux dans l’élaboration de sa grande thèse sur Hallâj. Massignon entre en contact avec lui en 1908 au Congrès des Orientalistes de Copenhague puis en 1912 aux colloques d’Athènes et de Leiden. En avril 1909, il lui rend visite à Budapest alors qu’il rejoint Istanbul par l’Orient-Express. Peu après, Goldziher recommandera le jeune orientaliste français auprès du roi Fouad pour enseigner à la Nouvelle Université́ du Caire en 1912 et 1913 « en arabe parlé, non lu ». Tous deux ont échangé une correspondance assez fournie. Massignon témoigne que les encouragements de Goldziher à suivre la direction prise, ses corrections bienveillantes ainsi que les recensions élogieuses sur ses premières publications ont été décisives. Il qualifie Goldziher de « premier maître ». Dans sa thèse consacrée à Massignon, Fl. Ollivry suggère qu’au-delà des apports purement académiques, Goldziher a pu exercer sur lui l’effet d’un véritable modèle. Il lui a toujours voué une grande reconnaissance. A sa mort, il a été chargé du don de sa bibliothèque à la naissante Université́ hébraïque de Jérusalem, par l’intermédiaire de son premier chancelier, Judah Leon Magnes.
Témoignage de Louis Massignon :
« Et c’est Goldziher qui m’a dit : « Vous êtes dans la bonne voie ; c’est moi-même qui corrigerai les épreuves de vos livres ». Il était au summum de la science internationale ; et moi j’étais un débutant. Je peux donc l’appeler un maître, parce qu’il n’a jamais essayé de procédé par force et par violence. Et quand je faisais des contresens ou des solécismes, il me disait : “Je pense que c’est plutôt comme cela qu’il faut comprendre.” Parce qu’il savait très bien que les jeunes gens sont orgueilleux, impossibles à mener, et que s’il ne me prenait pas tout doucement comme cela… C’était sa méthode d’éducation. »
Massignon, « Les maîtres qui ont guidé ma vie » , p.17
Bibliographie :
François Angelier, « Louis Massignon-Ignác Goldziher : influence intellectuelle et legs spirituel au travers d’une correspondance inédite (1909-1921) », dans Céline Trautmann-Waller (dir.), Ignác Goldziher. Un autre orientalisme ?, Paris, Geuthner, , pp. 195-212
Rémi Brague, Introduction au livre d’ Ignaz Goldziher, Sur l’Islam (recueil de textes de Goldziher en français), Desclée de Brouwer, 2003, pp. 7-35
Louis Massignon, « Les maîtres qui ont guidé ma vie » (1957), repris dans Louis Massignon et ses contemporains, Jacques Keryell (dir.), Karthala, 1997, pp.15-20, et dans Horizons Maghrébins, 14-15, 1989, pp. 155-160
Florence Ollivry, Louis Massignon et la mystique musulmane – Analyse historiographique, méthodologique et réflexive, thèse de Sciences des religions, Université PSL/ EPHE/Université de Montréal, 2019, pp. 280-301
Archives :
Département d’Orientalisme de la Bibliothèque des sciences de Budapest (Hongrie) : la correspondance Goldziher – Massignon (115 lettres du 14/02/1909 au 09/10/1920) y est archivée.
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