André de Peretti, le plus fidèle des amis de l’ancienne Association des Amis de Louis Massignon, dont il fut le président de 1997 à 2009, s’est éteint à Paris le 6 septembre 2017.
Né à Rabat le 7 mai 1916, issu d’une grande famille corse, polytechnicien, ingénieur, parlementaire, promoteur de la psycho-sociologie à l’Education Nationale, il consacra une partie de sa vie à préserver les liens de la France avec son pays d’origine. Durant ses études, membre actif de la JEC, (Jeunesse Etudiante Chrétienne), il se lia avec de jeunes intellectuels marqués par la pensée d’Emmanuel Mounier, comme René Rémond, Edmond Michelet, Jean-Marie Domenach, Maurice Schumann… Après 1945, et son retour de captivité, il s’engagea au MRP et se créa un réseau de relations qui sera bien précieux à Louis Massignon.
Rapidement élu Conseiller de l’Union Française., il se préoccupa de la situation qu’il retrouvait au Maghreb et publia dans Esprit, en avril 1947, un fracassant article « Prévenons la guerre en Afrique du Nord: l’indépendance marocaine et la France ». Cette audace plût à Massignon qui se rapprocha de lui ainsi que de son ami Jean Scelles qui arrivait d’Algérie, également Conseiller de l’Union Française.
À eux trois, mus par un même désir de justice, ils fondèrent, en en pesant les termes, le Comité chrétien d’Entente France / Islam (juin 1947).
Les graves événements qui agitèrent le Maroc en 1952/1953, poussèrent André de Peretti à riposter plus efficacement en s’assurant du concours de F. Mauriac pour prendre la tête d’un nouveau Comité consacré aux affaires marocaines, moins marqué religieusement que le précédent, le Comité France-Maghreb dont Louis Massignon, C.A. Julien et G. Izard, étaient vice-présidents (mars 1953).
Fréquentant autant ses amis de l’Istiqlal exilés en France, comme Allal el Fassi, Omar Abd el Jalil, que ceux des cabinets successifs, comme R. Schumann, André de Peretti joua un rôle précieux d’intermédiaire pour préparer sereinement l’indépendance du Maroc et le retour de Mohammed V sur le trône.
Agissant dans l’ombre pour ne pas peiner son père président des Chambres de commerce et d’industrie marocaines, il fut à l’origine de nombreuses interventions dans la presse, de meetings et pétitions. Lorsque se constitua en en mai 1955 un Comité National pour la solution du problème marocain, André de Peretti, aux côtés de Jean Védrine et Bertrand Schneider, est pressenti par le gouvernement. Lorsque Mohammed V résida à St. Germain–en-Laye, avant de rentrer triomphalement en son pays, il tint à remercier personnellement F. Mauriac, André de Peretti et Louis Massignon et décorera plus tard ces deux derniers du Grand Cordon de l’Ordre du Ouissam Al Alaoui. « C’est vous qui avez créé France-Maghreb » lui redira Louis Massignon dans une lettre du 4/3/1956.
Par ailleurs, fidèle à la Badaliya, André de Peretti s’associa discrètement aux prières et jeûnes dont plusieurs furent suivis par des amis musulmans comme juifs.
Au lendemain du décès de Louis Massignon, il se mobilisa pour perpétuer sa mémoire, posant avec Daniel Massignon les bases d’une Association des amis. S’effaçant devant l’ambassadeur François de Laboulaye, il se chargea de la trésorerie et fut élu président en 1997, s’employant à stimuler « dispositions germinatives » selon une de ses expressions favorites.
Il poursuivit les travaux d’internationalisation de l’Association, eut soin de convoquer pour les différentes Assemblées Générales annuelles de brillantes personnalités de ses amis, telles Jean-Marie Domenach (1997) Jean Lacouture (1998), et tint à consacrer le N° du 22 du Bulletin à son très cher ami le P. Jean-Mohammed Abd-el-Jalil.
Il soignait particulièrement son rapport moral, glanant méticuleusement tout ce qui concernait la postérité de l’islamologue, agrémentant son discours d’un style travaillé. Il se voua à la sauvegarde de la mémoire de Louis Massignon au Maroc. Avec Nicole Massignon, il fut le maitre d’œuvre du Bulletin n°18 gros consacré à « Louis Massignon et le Maroc, une parole donnée ».
Il réalisa ensuite un grand colloque en février 2006 à Rabat pour le cinquantenaire du retour d’exil de Mohammed V. Là encore il s’est effacé mais, « compagnon d’armes » de Louis Massignon, il lui revint d’inaugurer les travaux. Il avait collationné, les années précédentes, l’ensemble de ses souvenirs, agrémentés de nombreux documents, dans un gros volume édité en 2006 par le Haut Commissariat aux Anciens membres de l’armée de libération du Royaume du Maroc, L’indépendance du Maroc et la France (1946-1956) Mémoires et témoignage., ouvrage magistral salué par l’ambassadeur du Royaume du Maroc.
En dernier témoin de la période, il écrivit l’histoire du Comité chrétien d’Entente France/Islam, esquissée dans BAALMn° 3, puis consignée dans un ouvrage rédigé avec le regretté Maurice Borrmans, publié en 2014 aux Editions Karthala : « Le Comité chrétien d’Entente France – Islam (1947-1962) ». Au printemps 2014, les deux auteurs -André avait 98 ans ! – sont venus présenter leur œuvre à la Grande Mosquée de Paris.
En reconnaissance à cet aîné qui a incarné en vérité, pour tous ceux et celles qui ont eu la chance de le côtoyer, les qualités de droiture et de générosité.
Françoise Jacquin
Bulletin des Amis de Louis Massignon, BAALM 12.