Titulaire d’une licence en théologie et d’un doctorat d’État en philosophie avec une thèse consacrée à l’œuvre de Guillaume de Saint-Thierry, Marie-Magdeleine Davy est professeure de philosophie dans divers établissements à Reims, en région parisienne puis à Paris. En 1939, elle est chargée de cours d’histoire et de philosophie médiévales à l’École pratique des hautes études – section des sciences religieuses. En 1947, elle obtient un poste de lecteur à l’Université de Manchester en Angleterre. En 1949, elle intègre le CNRS comme chargée de recherche, avant d’être nommée maître de recherche en 1955. Elle se consacre à l’identification et à l’étude de manuscrits du XIIe siècle, à la réalisation de travaux de mystique comparée portant notamment sur la place de la mystique juive – Zohar, Kabbale – dans la mystique médiévale, et à la constitution de dossiers sur les poètes métaphysiciens. Parallèlement, elle effectue, dans le cadre de l’Alliance française et comme envoyée du ministère des Affaires culturelles, des tournées de conférences littéraires ou philosophiques dans de nombreux pays étrangers. 

Tout au long de son existence, Marie-Magdeleine Davy demeure en quête de la dimension transcendantale de la vie humaine, « à laquelle un jour ou l’autre, écrit-elle, l’homme se trouve confronté ». Pour elle, cette dimension ne peut être éprouvée que dans le cadre d’une démarche d’intériorité.

Pour autant, la recherche intérieure de Marie-Magdeleine Davy ne se situe jamais en opposition avec ses engagements humains. En témoignent ses activités au sein de la Résistance dès octobre 1940, pour lesquelles elle recevra des mains du général de Gaulle la croix de Guerre avec étoile d’argent en 1945. En témoignent également ses fonctions de conseillère municipale à Saint-Clémentin en Deux-Sèvres entre 1959 et 1971, où elle crée, en 1960, le centre d’éducation populaire Simone-Weil accueillant chaque été des enfants, des adolescents ainsi que de nombreux étudiants français et étrangers. Il s’agit pour elle de donner à ces jeunes une formation culturelle et humaine.

Marie-Magdeleine Davy s’investit profondément dans la vie intellectuelle et spirituelle de son époque. Grâce à l’écrivain Marcel Moré qui organise depuis les années trente d’authentiques débats dans son grand appartement, quai de la Mégisserie à Paris, elle côtoie de nombreuses personnalités, dont Louis Massignon. Louis Massignon n’interviendra qu’une seule fois chez Marcel Moré, le 21 juin 1941, en qualité d’islamologue, pour parler des mystiques musulmans. 

Cest par l’intermédiaire de son ami Jean Daniélou que Marie-Magdeleine Davy entre en relation suivie avec Louis Massignon. Leur premier entretien la bouleverse. Ensuite, elle se rendra une dizaine de fois chez Louis Massignon, et celui-ci lui rendra visite à trois reprises. Non spécialiste de l’islam, Marie-Magdeleine Davy reconnaît ne pas pouvoir juger des recherches de l’islamologue. Mais elle reste subjuguée par son regard de feu, ses gestes et ses paroles totalement en accord avec sa démarche spirituelle et ses engagements.

Durant l’Occupation allemande, Marie-Magdeleine Davy dirige le Centre de recherches philosophiques et spirituelles, place de la Sorbonne à Paris, où elle programme chaque semaine des conférences pour lesquelles elle sollicite l’intervention de personnalités variées : Louis Massignon, Emmanuel Mounier, les pasteurs Jean Bosc et Pierre Lestringant, le père Eugraph Kovalevsky, les pères Jean Daniélou, Henri de Lubac, Augustin-Jean Maydieu et Gaston Fessard. En 1943, dans le cadre des colloques philosophiques et théologiques qu’elle organise au château de La Fortelle en Seine-et-Marne – qui servent par ailleurs de couverture à ses actions de Résistance –, Marie-Magdeleine Davy participe à un groupe de réflexion sur les thèmes fondamentaux de la pensée religieuse. Ce groupe aboutit à la création de la revue Dieu Vivant en décembre 1944, dont le premier comité directeur se compose de Marcel Moré, Louis Massignon et Maurice de Gandillac. Cependant, Marie-Magdeleine Davy prend rapidement ses distances avec Dieu vivant dont elle juge la présentation trop luxueuse, tandis que Louis Massignon s’en retire en 1950, après avoir demandé l’annulation d’un article rédigé en collaboration avec Marcel Moré avec lequel il ne s’entend pas vraiment, et probablement aussi en raison de son ordination comme prêtre catholique selon le rite melkite au Caire. 

Dans les années cinquante, Marie-Magdeleine Davy retrouve Louis Massignon aux sessions annuelles du cercle Eranos à Ascona en Suisse, lieu de rencontre des grands psychologues, philosophes et historiens des religions venus d’Orient et d’Occident pour échanger autour de thèmes communs sur lesquels chacun peut exposer, dans sa langue maternelle, le résultat de ses travaux.

À la suite d’une vaste enquête lancée en janvier 1952 auprès d’un large public sur « L’idée de Dieu et ses conséquences », Marie-Magdeleine Davy, secrétaire générale de la revue littéraire L’Âge nouveau, propose la publication du récit de conversion de Louis Massignon – « La Visitation de l’Étranger ». Ce texte sera publié dans le numéro spécial de L’Âge nouveau en janvier 1955. 

De toutes ses rencontres avec Louis Massignon, Marie-Magdeleine Davy témoigne qu’elle en est ressortie « nourrie, non pas du corps ni de l’âme, mais de l’Esprit ». Il lui semble avoir rencontré un homme ayant répondu à un appel vraiment surnaturel.

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Témoignages de Marie-Magdeleine Davy sur Louis Massignon

« Massignon savait quelque chose, que très peu d’hommes savent, ou tout au moins comprennent : c’est que les religions ne sont que des chemins. Rien d’autre que des chemins. Par conséquent, il pouvait rattacher les religions, il pouvait vivre un certain œcuménisme, il pouvait réaliser un sens de l’universel. Tout en étant profondément chrétien, il savait que la religion de l’esprit est au-delà des formes. Par conséquent, il pouvait tout respecter. » 

 « L’homme en qui Dieu verdoie », 1992.


« J’ai connu Louis Massignon, personnage fascinant […]. Sa présence s’imposait, même si on ne partageait pas le sens de ses propos. Souvent, les hommes composent, s’adaptent à autrui, souhaitent acquérir une supériorité par leurs publications et leurs discours. Massignon demeurait perpétuellement fidèle à lui-même en traversant les étapes d’un feu qui s’allume avant de flamboyer dans une sorte d’incendie qu’aucun individu n’aurait pu éteindre. Lorsqu’on quittait cet homme étincelant, on conservait en soi quelques lueurs, même si on ignorait l’essentiel de la mystique musulmane. […] Massignon n’était pas un homme pondéré. Blessé, les yeux parfois embués de larmes, il défendait avec une violence non feinte ce qui lui apparaissait la Vérité. […] Il y avait en lui une humilité vraie. […] Sa simplicité était désarmante. […] Pas de répétition possible d’un tel personnage en raison de sa culture et de sa foi. Jalousé par des professeurs et écrivains, il se heurtait parfois à une pénible incompréhension. D’où qu’elle provienne, l’authenticité hérisse toujours ceux qui appartiennent à la médiocrité de la conscience commune. » 

 « Chronique sur l’ouvrage de Jacques Keryell Louis Massignon et ses contemporains », 1997.


« D’autres visages retinrent ma ferveur. Tel Louis Massignon que j’aimais aller visiter. Un homme dévoré par l’amour des persécutés, des incompris, des faibles. En lui, se conjuguaient le sens de la justice et celui de la miséricorde. Fidèle à l’esprit de l’Évangile, il le vivait sans aucun compromis. Sa vive sensibilité, on pourrait même dire ses entrailles de charité quasi maternelles le rendaient vulnérable. Il souffrait pour autrui avec démesure. Voir la dignité humaine bafouée le déchirait. […] Quant à sa voix, elle témoignait de la passion qui l’animait. […] Louis Massignon était un mystique. Son approche des mystères s’opérait dans “la crainte et le tremblement” d’un cœur rempli d’humilité. Je suis allée le voir chez lui. C’était un homme libre, sachant manier les idées avec aisance. Sa bonhomie et la simplicité de son accueil rendaient toute communication aisée. J’ai aimé son écriture. Faciles à lire, ses ouvrages se dévorent. »

Traversée en solitaire, 2004, p. 133.



Bibliographie 

Marie-Magdeleine Davy, Traversée en solitaire, Paris, Albin Michel (Espaces libres), 2004, p. 133.

Marie-Magdeleine Davy, « L’homme en qui Dieu verdoie », propos recueillis par François Angelier et François L’Yvonnet, Question de, n° 90, 1992.

Marie-Magdeleine Davy, « Chronique sur l’ouvrage de Jacques Keryell Louis Massignon et ses contemporains », Question de, n° 111, 1997.

Armelle Dutruc, « Marie-Magdeleine Davy ou l’Orient philosophique », Le Picton, n° 262, juillet-septembre 2020, pp. 14-19.

Armelle Dutruc, Des profondeurs de l’être. Marie-Magdeleine Davy. Itinéraire d’une philosophe absolue, Le Coudray-Macouard, Les Acteurs du savoir, 2021, pp. 13-96 ; pp. 291-316.

Maurice de Gandillac, « Le sens de l’écoute », propos recueillis par François L’Yvonnet, Question de, n° 116, avril 1999.

Étienne Fouilloux, Christianisme et eschatologie. Dieu Vivant. 1945-1955, Paris, CLD éditions (Essai d’histoire), 2015, pp. 35-42.



Archives

Archives de Marie-Magdeleine Davy, Archives départementales des Deux-Sevres,  fonds 155 J. 

Répertoire numérique des archives de Marie-Magdeleine Davy par Armelle Dutruc, publié sous le titre Marie-Magdeleine Davy ou l’Orient intérieur par le Conseil départemental des Deux-Sèvres (service des Archives départementales) avec le visa du Service interministériel des Archives de France, 2012, 127 p.