Le destin de Fâtima, fille de Muhammad, est à la fois discret et central dans l’histoire de l’islam. Seule enfant du Prophète à lui survivre parmi tous ceux qu’il eut de sa dizaine d’épouses, elle fut aussi la seule à lui donner une descendance. Elle épousa ‘Alî ibn Abî Tâlib, cousin germain de son père et engendra deux fils : Hasan et Husayn. Son portrait est difficile à tracer tant les traditions la concernant sont contradictoires.
Les sources sunnites donnent de Fâtima l’image d’une femme timide et effacée. Cantonnée aux tâches ménagères, elle ne pesa guère sur les décisions personnelles ou politiques de son père. Elle eut à batailler pour faire valoir ses droits, face aux épouses de ce dernier ou à l’autoritarisme de son mari. A la mort de Muhammad en 632, comme son successeur Abû Bakr refusait son droit à l’héritage, elle se révolta et mourut environ six mois plus tard, de chagrin ou peut-être des violences subies pour la forcer à faire allégeance au nouveau calife.
Dans la tradition chiite, Fâtima est devenue une figure parfaite, auprès de son père, son mari et ses onze descendants (les Imams) dans un plérôme pré-éternel d’êtres parfaits. La vénération à son endroit est intense, et une quantité impressionnante de récits de miracles entourent sa personne. Ainsi, elle n’aurait jamais connu de saignements menstruels (entraînant l’impureté éloignant de la prière), et ses accouchements auraient eu lieu de façon miraculeuse.
Louis Massignon a été fasciné par la figure de Fâtima. Il lui a consacré trois études importantes dans lesquelles il valorise la discrétion même de sa vie : « Non pas que (les partisans chiites) aient compris toute la vie secrète de Fâtima, voilée bien au-delà de la jalousie de ‘Â’isha, par une autre Jalousie, celle de Dieu. Vie de compassion intérieure, de larmes, prière pour les morts (à Uhud), et dans les cimetières, vœux de jeûne, choses de peu de poids pour des théologiens philosophes ou canonistes. Vie qui les survole, et les surplombe en Islam, comme une menace, de plus en plus imminente, de la Grâce de Dieu ; du Vœu secret de la Femme, Vierge ou Mère, qui transcende tous les axiomes et serments des hommes. » Ce faisant, il a étudié particulièrement la relation entre Fâtima et la Vierge Marie, en soulignant par exemple la correspondance numérique (290) entre les noms de « Maryam » et de « Fâtir », nom gnostique de Fâtima.
Citations :
“ L’histoire musulmane, où la femme a été si longtemps voilée et humiliée, puisque la femme est à la fois le signe de la tentation, et la visitation de la grâce, est commandée, dans son drame intérieur, par la fidèlité des femmes nobles et malheureuses, qui au-dessus de tous les serments des mâles, ont gardé le voeu les liant à la parole du Saint Livre. Et la première, la plus voilée, c’est Fâtima, la fille préférée du prophète Muhammad ».
Louis Massignon, « La notion de vœu et la dévotion musulmane à Fâtima », Écrits Mémorables, t. I, p.257
Bibliographie :
Louis Massignon, « La Mubâhala de Médine et l’hyperdulie de Fâtima » ; « La notion de vœu et la dévotion musulmane à Fâtima » ; « L’Oratoire de Marie à l’Aqçâ, vu sous le voile de deuil de Fâtima », dans Écrits Mémorables, Christian Jambet (dir.), Robert Laffont, 2009, t. I, pp. 211-289.
Patrick Laude, « La féminité mystique chez Louis Massignon », dans Massignon intérieur, Delphica/L’Âge d’Homme, 2001, pp. 65-116.
PL