« Catholique musulman » ? ou « Musulman catholique » ? Retour aux propos d’origine, mise au point de Françoise Jacquin.

En fidélité et loyauté vis-à-vis de l’héritage de Louis Massignon, et afin de corriger les interprétations induites par l’expression « le catholique musulman » – sous-titre du bel ouvrage de Manoël Pénicaud – il faut signaler qu’il y a inversion des termes de ceux employés – en amicale plaisanterie – par le pape Pie XI qui  adressa à Louis Massignon  l’expression de « musulman catholique « lors d’une audience en juillet 1934 .

Louis Massignon a relaté lui-même son audience avec le Pie XI dans deux textes.
Le premier est le récit fait par Louis Massignon, le soir même, complété par un témoignage de son fils Daniel Massignon, publié dans  « Louis Massignon, Les trois prières d’Abraham », Cerf Patrimoines, 1997, p. 191-193
Le second est une lettre à son filleul Abd-el -Jalil publiée dans « Louis Massignon – Abd-el-Jalil, Parrain et filleul 1926-1962″, Correspondance rassemblée et annotée par Françoise Jacquin, Cerf Histoire, 2007, p. 108-109.

Les textes

Récit de cette audience papale du 18 juillet 1934 fait par Louis Massignon, le soir même, complété par un témoignage de son fils Daniel.

– (…) « Il me taquine : Votre voie est très particulière, « musulman catholique »
– (je me tais, je lui tends le schéma préparé : il le prend, le lit mot-à-mot, le discute en un français parfait, tout entier); plus loin il rapporte : « Bagdad. ».
– « Combien de temps avez-vous été musulman ?
– J’étais simplement sympathisant, étant devenu incrédule ; je n’ai jamais dit la chéhada (profession de foi musulmane NDLA). »
– Puis « Qu’avez-vous voulu dire, Très Saint Père, en m’appelant « musulman catholique » ? Me faire de la peine ? –
– Au contraire, j’ai voulu dire que votre nom est lié à l’Islam, comme dans Manzoni, le nom de saint Charles Borromée est lié à la peste de Milan, dont sa charité fit aimer jusqu’au nom (…)
– Resté à genoux, je lui dis qu’en offrant ma vie pour l’Islam, j’ai besoin de sa bénédiction paternelle, comme mon amie Violet Susman quand elle est venue faire bénir par vous (en 1924) son oblation pour le Japon » (…)

Daniel Massignon rapporte dans une note : « Ici se place un épisode, que mon père n’a pas décrit dans son récit. Il se met à genoux devant le Saint Père surpris, qui lui dit :
Que faites-vous ? Relevez-vous Monsieur Massignon !
– « Je ne me relèverai pas avant que vous n’ayez répondu à ma question : « Qu’avez-vous voulu dire … ».
 
Daniel Massignon,  Louis Massignon, Les trois prières d’Abraham, Cerf Patrimoines, 1997, Annexe D, p. 191-193 

 Lettre à son filleul Abd el-Jalil du 24 juillet 1934
Mon cher Jean,   
L’audience privée du St Père que son Exc Giannini m’a obtenue le 18 (de 11h 15 à 11h 35) a été très consolante. Le pape a uni le parrain et le filleul dans la même bénédiction (il vous aime et m’a dit de vous le répéter : votre vocation est une « élection » et cette élection est une « prédilection »). Il a béni l’oblation de ma vie et de ma mort pour mes frères musulmans et sœurs, telle que je l’avais faite le 9 février à Damiette, y unissant explicitement cette autre âme (Mary Kahil NDLA) qui l’avait faite avec moi. Il a discuté mot à mot avec moi un « schéma » dont je vous parlerai. Pour une déclaration officielle de l’Eglise sur Halladj, il s’est montré expectant. Je vais tâcher de faire rédiger un témoignage théologique sur l’incorporation juridique d’al Hallâj à l’Eglise par le baptême de sang. Il a béni ma « voie » particulière et tous mes collaborateurs. Il m’a taquiné, disant qu’à force d’aimer, j’étais devenu un « musulman catholique » pour qu’on aime, par moi, les musulmans dans l’Eglise.

La veille, le Rev. Père général des franciscains m’avait béni et avait copié notre prière de 1932 et m’avait promis d’aller, le soir même, la réciter à l’Alverne. Depuis le 20, Mgr. Giannini l’a fait approuver par le pape (il l’a trouvée belle et digne » de sa haute approbation.
Yves s’affaiblit (…)
Priez pour nous.  Bénissons Dieu (in cruce)
Votre frère Ibrahim.

Françoise Jacquin