La méthode de Louis Massignon est faite de démarche compréhensive, de décentrement mental, d’empathie et de connaissance intériorisée de l’autre. Elle diffère de l’attitude positiviste, objectivante, en surplomb, des sciences sociales françaises de l’époque, inspirées par Émile Durkheim pour lequel « il faut étudier les faits sociaux comme des choses ». 

Sa longue immersion dans la langue arabe est le vecteur de cette « expatriation culturelle » qui permet de comprendre l’autre de l’intérieur, et qui conduit à se faire hôte de l’objet étudié. Celui-ci devient pleinement sujet, façonnant le chercheur en profondeur comme il est façonné par lui. Son étude de la mystique musulmane et notamment d’Hallaj illustre ce double processus, la démarche du savant étant inséparable de sa quête spirituelle personnelle. 

Sa « science expérimentale de la compassion » débouche sur une approche transversale  de l’objet d’étude décloisonnant les champs disciplinaires. Philologie, archéologie, théologie, sociologie, histoire, économie et anthropologie se mêlent pour éclairer l’objet de milles facettes, avec des associations et des raccourcis saisissants dont témoignent ses écrits. 

Citations : 

« Je ne suis pas de ceux qui pensent que l’authenticité d’un savant se limite au travail de cabinet »

“Le voeu et le destin” (1958), Ecrits Mémorables, I , p.19


« Halladj disait : comprendre quelque chose d’autre, ce n’est pas s’annexer la chose, c’est se transférer, par décentrement au centre même de l’autre en devenant en quelque sorte son « hôte intérieur ». C’est comme dans le système de Copernic quand on l’a substitué au système de Ptolémée ; nous nous croyons le centre du monde, il faut un décentrement. L’essence du langage doit être une espèce de décentrement, nous ne pouvons nous faire comprendre qu’en entrant dans le système de l’autre… ».     

“L’involution sémantique du symbole dans les cultures sémitiques” (1960), Ecrits Mémorables, II, p.268


« Cette connaissance expérimentale du sacré n’est pas une science toute faite, c’est une compréhension, une intériorisation qui ne se communique pas par des techniques externes, mais par l’acceptation, le transfert sur nous des souffrances d’autrui”..

« Toute une vie avec un frère parti au désert… » (1969), Parole donnée,1983, p.65


 

« Non pas que l’étude de sa vie, – celle d’Hallaj-  pleine et forte, droite et une, montante et donnée, m’ait livré le secret de son cœur. C’est plutôt lui qui a sondé le mien, et qui le sonde encore.»

La passion de Hallaj, Gallimard, 1975, T.1, préface, p.30



Témoignages :

« Massignon n’était pas un professeur, Massignon était ce qu’il faut bien appeler un maître, c’est-à-dire qu’on avait l’impression, à son contact, qu’il avait les clés de la vie et, d’une certaine façon, les clés de la mort. Et que le contact avec Massignon était susceptible de transformer radicalement l’orientation d’une vie. Connaître Massignon, c’était d’une certaine façon se convertir. »

Salah Stétié 
Foi et traditions des chrétiens orientaux : Hommage à Louis Massignon, INA-ORTF, 16 novembre 1969 


« Il crée un monde nouveau en croisant les genres et les lieux du nôtre ; il trouble l’ordre des classifications pour fonder un espace. Je me rappelle les conversions zébrées de ces passages fulgurants : à une question sur le Coran, il répondait en parlant de Léon Bloy. Ses cours aux Collège de France, comme les manifestations qu’il organisait, étaient traversés d’alliances amicales et de croisades politiques dont il était le chevalier servant et l’alchimiste.

Michel de Certeau
Massignon pèlerin et professeur, Libération, 2 décembre 1983 


Le style de Louis Massignon est fait de « Méditations en rosace autour de thèmes conducteurs, synthèses éblouissantes, accumulations érudites de noms et de termes, dont n’est pas sans ressortir une sorte d’effet surréaliste, allusions fulgurantes, ou confidences voilées, échappées d’un lyrisme métaphysique ou passionnel : bref, le contraire de ce à quoi nous a habitués la production orientaliste, et l’on ne regrettera pas, certes, ce triomphe de l’anti discours. »

Jacques Berque 
“Le roman de la rose ensanglantée”
, Le Nouvel Observateur, 2 février 1976



Bibliographie : 

Francis Affergan, « Inversion et conversion. Les modèles de l’altérité chez Foucauld et Massignon », Critiques anthropologiques, presses de la FNSP, 1991, pp. 50-67

Jacques Berque, « L’anthropologie historique de Louis Massignon », Présence de Louis Massignon, Maisonneuve & Larose, 1987, pp. 28-35

Florence Ollivry, Louis Massignon et la mystique musulmane. Analyse historiographique, méthodologique et réflexive d’une contribution à l’islamologie, thèse soutenue le 3 décembre 2019, à Paris

BM