L’hospitalité est une valeur cardinale pour Louis Massignon, scientifique, mystique et témoin engagé. En 1908, prisonnier en Irak, il fait l’expérience fondatrice et déchirante de la « Visitation de l’Etranger », Dieu-hôte, le tout Autre, venu le visiter au cœur de sa détresse. Il bénéficie de l’hospitalité de la famille Alûsî qui agit pour sa libération.
L’hospitalité est une attitude intellectuelle faite de décentrement et de compréhension intériorisée de l’autre, en rupture avec la posture objectivante des sciences sociales et l’attitude méprisante du colonisateur.
Cette vertu fonde ses engagements politiques en faveur des immigrés maghrébins, des prisonniers de la colonisation et des réfugiés palestiniens. L’hospitalité envers les « personnes déplacées » doit être la base de la refondation du droit international.
Citations :
L’hospitalité, expérience fondatrice
« Ce sont des arabes qui m’ont appris cette religion de l’hospitalité. J’étais l’hôte et j’ai été sauvé, après trois jours, relâché, par respect de Dieu, de l’hôte ».
BAALM, n°13, déc. 2002, p. 6
« Cette notion de l’hospitalité sacrée, que j’ai mûrie durant des années, depuis 1908, où Foucauld m’a soutenu comme un frère aîné, me paraît essentielle pour la recherche de la Vérité, entre hommes, dans nos itinéraires, et nos travaux, ici-bas, jusqu’au seuil de l’au-delà.Hallâj et Gandhi me l’ont puissamment fait comprendre, eux qui ont tout donné au Dieu de Vérité, donnant leur vie et leur mort pour les plus abandonnés et les plus malheureux des hommes, respectant en eux, vénérant en eux une image de Dieu, plus transparente que chez les riches de l’intelligence, de la force et de la fortune ».
« L’honneur des camarades de travail et la parole de vérité, (1961), Écrits Mémorables, t. I, Bouquins Laffont, 2009, p.34
L’hospitalité, vertu spirituelle
« Rappelons, avec Saint Benoît, la mystique de l’hospitalité : la Vierge a donné l’hospitalité à l’Esprit Saint le jour de l’Annonciation. Effleurant, comme Abraham à Mambré, le fond même du mystère de la Trinité où Dieu est à la fois l’Hôte, l’Hospitalier et le Foyer. Dieu aime l’expatrié, le ger (tr. En grec « prosélythos » qui est faible ; il faudrait « ephestios » : Dt.10, 18-19). Comme le rappelle la règle de Saint Benoît en son chapitre 35, l’hospitalité est la base même du jugement dernier (Mat, 25, 35) où le Juge dira aux Elus « Hospes fui, et suscepistis Me » (J’étais étranger et vous m’avez accueilli), et cette règle prescrit de prier en premier avec l’Hôte ».
Badaliya, au nom de l’autre (1947-1862), Le Cerf, 2011, p.134
« Par l’hospitalité, nous trouvons le sacré au centre du mystère de nos destins, comme une aumône furtive, et divine, dont aucune assurance, sociale ou autre, ne nous dispensera jamais. En abritant et en soignant l’âme à travers le corps, elle atteste la valeur immortelle de la plus humble vie humaine, de ce corps infiniment vénérable en son vêtement usé de travailleur (semence de gloire), qu’il n’est pas permis de lui arracher comme faisaient les gardes-frontières de l’Inde, en 1947, arrachant aux femmes déportées, avec leurs vêtements, leurs boucles d’oreilles et leurs anneaux de pieds . »
« La signification spirituelle du dernier pèlerinage de Gandhi » (1956), Écrits mémorables, t. II, Bouquins Laffont, 2009, p.802
L’hospitalité, exigence intellectuelle
« Pour comprendre l’autre, il ne faut pas se l’annexer, mais devenir son hôte »
« Halladj disait : comprendre quelque chose d’autre, ce n’est pas s’annexer la chose, c’est se transférer, par décentrement au centre même de l’autre en devenant en quelque sorte son « hôte intérieur ». C’est comme dans le système de Copernic quand on l’a substitué au système de Ptolémée ; nous nous croyons le centre du monde, il faut un décentrement. L’essence du langage doit être une espèce de décentrement, nous ne pouvons nous faire comprendre qu’en entrant dans le système de l’autre… ».
Opera Minora t. II, p.631
L’hospitalité, valeur d’engagement
« C’est seulement dans la mesure où l’on accorde l’hospitalité à l’autre (au lieu de le « coloniser »), où l’on partage avec lui le même travail, la même peine, le même pain, dans l’honneur du compagnonnage, que l’on prend conscience de la parole de Vérité qui unit socialement ».
Opera Minora, t. III, pp. 608-609
« Il n’y a pas au fond plusieurs œuvres de Miséricordes, il n’y en a qu’une, c’est l’hospitalité sacrée, qui fait foi à l’hôte, cet étranger, cet inconnu mystérieux qui est Dieu même venant se mettre à notre merci, désarmé. »
« La signification spirituelle du dernier pèlerinage de Gandhi » (1956), Écrits mémorables, t. II, Bouquins Laffont, 2009, p.800
« Je crois vous avoir fait sentir que le problème de l’hospitalité domine toute la question de la paix dans la justice. Tant que nous ne traiterons pas les personnes déplacées comme des hôtes de Dieu, nous ne trouverons pas de solution ».
« La paix dans la justice en Palestine » (1949), Écrits Mémorables, t. I, Bouquins Laffont, 2009, p.723
« Ce peuple (le peuple juif) ne comprend plus que la manière héroïque dont Abraham a pratiqué la vertu d’hospitalité ne lui a pas seulement valu la Terre Sainte en héritage, mais d’y faire entrer tous les hôtes étrangers que son hospitalité a bénis (…) Signe annonciateur de la consommation finale du rassemblement de toutes les nations, bénies en Abraham, cette Terre Sainte ne doit pas être monopolisé par aucune ».
« Le respect de la personne humaine en Palestine et la priorité du droit d’asile sur le devoir de la juste guerre » (1952), Écrits Mémorables, t. I, Bouquins Laffont, 2009, p.788
« Pour établir l’originalité et la force du principe musulman du Droit d’asile, il nous faut d’abord définir comment il s’est ébauché dans les sociétés primitives, avec l’hospitalité. L’hospitalité, avec ses préambules, salutations cérémonieuses et palabres, est un embryon de relations internationales, une offre de participation propice à l’étranger, à l’ennemi, à la notion de personne humaine que la tribu s’est formée pour ses membres. L’hospitalité est une merveilleuse initiative humaine, elle est, pour le primitif, sacrée ; tandis que chez nous, elle est désécrée, elle n’est qu’un moyen de faire des affaires, et une tactique rentable. ».
Idem, Écrits Mémorables, t. I, Bouquins Laffont, 2009, p.787
« L’aumône de soi qui n’est pas une chimère du sentiment subjectif, ni un mythe ennoblissant pour l’esthète (mais) profession d’honneur chez l’homme. Car c’est le Pauvre des Pauvres, l’Expatrié par excellence, Dieu, qu’elle nous fait accueillir, caché, dans le plus désarmé de nos hôtes étrangers, ici en France, les travailleurs nord-africains ».
Badaliya, au nom de l’autre (1947-1862), Le Cerf, 2011, p.313
Bibliographie :
N° spécial du Bulletin des Amis de Louis Massignon (BAALM), n° 13, décembre 2002
François de Laboulaye, « L’hospitalité dans la pensée et l’œuvre de Louis Massignon », Présence de Louis Massignon, Hommages et Témoignages, Maisonneuve & Larose, 1987. pp. 139-148
BM