Tayeb el-Okbi (1888-1960)

Eminente personnalité religieuse algérienne, le Cheikh Tayeb el-Okbi est, pour Louis Massignon, un « admirable ami » et « coopérateur » très estimé.  

Quelques jours après son décès, dans sa lettre à la Badaliya du 1 er juillet 1960, il en retrace toute la vie vouée à la prédication, à la théologie, à la bienfaisance et à la réforme, dans sa lettre à la Badaliya du 1 juillet 1960.

Membre du Cercle du Progrès à Alger dès son origine, fondateur avec Ben Badis, de l’Association des Oulémas Algériens en 1931 et du journal  El Islah (la Réforme), il prêche un islam spirituel moins ritualiste  que celui des marabouts et initie un mouvement de réforme. « Du Coran, il déduit un programme appelant autaidia (renouveau) au moyen du taijaddou (renouvellement) », selon Sadek Sellam et Ibrahim Younessi.
Mal vu des autorités françaises, il est interdit de prêche dans les mosquées en 1933. 

Au lendemain du pogrom de 1934 à Constantine, le Cheikh el-Okbi fonde l’Union des Croyants monothéistes. Louis Massignon l’en félicite et prie Jean Scelles de lui présenter sa « très vive et fidèle amitié ». Il appellera toujours cette Union sous le nom de Cercle des religions abrahamiques.

En 1937, faussement accusé d’avoir commandité l’assassinat du mufti d’Alger Bendali Amor Mahmoud ben Hadj, qui eut lieu le 2 aout 1936, il est emprisonné.
Louis Massignon, Jean Scelles, Germaine Tillion, Albert Camus, l’abbé Monchanin  et d’autres se mobilisent aussitôt pour obtenir sa libération. Remis en liberté provisoire, il sera acquitté en 1939.
Pendant la seconde guerre mondiale, Tayeb el-Okbi se mobilise contre l’application du régime de Vichy en Algérie, du statut des juifs notamment. Il s’implique très vite dans la Résistance, et milite  pacifiquement pour l’indépendance et les droits des musulmans algériens. Il déclare en 1947 dans le journal El Islah:

« Pas de régence, pas de protectorat, pas de colonisation, pas de possession, d’un pays ou d’une nation sans son consentement […], mais une liberté de choix de destinée pour tous les peuples, et l’indépendance de toute nation, principe établi dans le monde d’aujourd’hui et c’est un droit sacré aux yeux de toute nation»

Le problème palestinien mobilisera ensuite les deux hommes. Durant sa visite dans les camps de palestiniens en 1949, Louis Massignon considère que les réfugiés ont autant besoin de soutien spirituel que de soutien matériel. Il prie le cheikh d’aller leur « témoigner de la piété filiale de l’Occident » et de profiter de son passage à Jérusalem et Hébron pour défendre les waqs maghrébins. Louis Massignon se félicite de la démarche de ce « pieux musulman », dans sa correspondance avec Jacques Maritain, dans la revue l’Âme populaire, ou dans Esprit, dans ses lettres de la Badalya de 1950. Dans sa séance du 19 août 1950, le Comité Chrétien d’entente France-Islam rend un hommage appuyé au Cheikh.

A partir de 1953, Tayeb el- Okbi s’associe de cœur aux appels du Comité Chrétien d’Entente France-Islam (CCEFI) « vers une action réconciliatrice des croyants », mais  reste prudent pour protéger sa famille de onze enfantsNéanmoins, il organise le 22 janvier 1956, au Cercle du Progrès, une journée d’étude « L’Appel pour une trêve civile en Algérie » au cours de laquelle Camus prend la parole.

A l‘annonce du décès du cheikh,  le 21 mai 1960,  le CCEFI publie un communiqué pour « souligner auprès de l’opinion française , l’hommage dû au grand prédicateur musulman, théologien très pur, journaliste de talent :

 Il tient à rappeler ses efforts courageux pour la spiritualisation des grands problèmes de l’heure, pour le rapprochement entre les croyants monothéistes, excluant tout racisme/…/ ses adjurations pour la paix dans la justice et le respect  des populations algériennes, suivant le serment fait par nous-même (avec son accord)  à la Mosquée de Paris : « Nous voulons qu’on traite leurs hommes comme nos hommes, leurs femmes comme nos femmes, leurs enfants, comme nos enfants ». 



Témoignages

“Personne n’est saint. Pourtant de tous les êtres que j’ai connus par le monde, il n’y a peut-être qu’un seul pour lequel je ferai exception pour lui accorder ce qualificatif – le plus étrange, c’est qu’il n’est ni arabe ni musulman – vous le connaissez c’est votre ami Massignon ».

Cheikh El-Okbi cité par Jean Scelles, « Un retour à Dieu par l’islam », in Cahier de l’Herne, 1970, p. 187


« J’ai personnellement travaillé depuis deux ans les milieux religieux musulmans (et chrétiens) d’Algérie pour essayer d’y faire revivre cette religion de l’hôte, à propos des Lieux Saints de Palestine, et des Réfugiés de Terre Sainte . /…/ L’admirable Président Judah Magnes, de Jérusalem, qui m’y aidait, est mort vaincu, son parti, l’Ihud, est à peine toléré en son pays ; quant aux musulmans, le Cheikh Tayeb al-Okbi, après une émouvante visite aux camps de réfugiés de Jordanie où il les a exhortés à cette résignation à la sainte volonté de Dieu, qui est le véritable Islam, s’est fait traiter en Alger avec moi d’agent de la 5* colonne par ceux-là même pour qui les Lieux Saints ne sont qu’un argument de polémique, comme les Réfugiés, contre l’Europe.»

Louis Massignon, « La situation en Algérie », Esprit, août 1951, EM I, p. 659


Oui, je voudrais que / les lecteurs de ce livre/  méditent un instant comme moi, dans le lointain de nos origines, auprès d’un vieil homme très primitif, sur le seuil de sa tente, auprès d’un térébinthe, à Mambré. Là où j’ai prié plusieurs fois, là d’où mon ami musulman algérien, le Cheikh Tayeb-el-Okbi vient de m’envoyer un télégramme admirable au cours de la visite de piété consolatrice qu’il avait été faire juste après moi aux réfugiés arabes de Jordanie (on nous a traités naturellement d’espions colonialistes, alors que nous y priions pour la réconciliation des trois grandes religions monothéistes « abrahamiques »).
Ces réfugiés de Jordanie m’ont montré, comme ils l’ont montré au Cheikh Tayeb-el-Okbi, qu’on ne sauve pas du désespoir les frères humains à qui on témoigne un « amour de condescendance ». (…) Je souhaite que la voix du Cheikh Tayeb-el-Okbi, adjurant l’ONU de continuer son effort pour les réfugiés arabes après le 1er novembre 1951, soit écoutée ».

Louis Massignon, préface à François Nourissier, L’homme humilié (1950), EM I, p. 770-776.


« Vous nous avez rendu l’espoir d’une France chrétienne, nous sommes à vos côtés ».

Cheikh el Okbi, cité par Mme R.Charles Barzel in 0 Vierge puissante,   p. Evocation d’une visite à Louis Massignon, p.135. 

FJ



Bibliographie

Louis Massignon

  • Badaliya, Au nom de l’autre (1947-1962), Le Cerf, 2011. Lettre annuelle n°IV, Noël 1950, p.72 ; convocation 68 du 1 er Juillet 1960 pp.265-266 ; lettre annuelle n°15, p 314
  • préface de F. NOURISSIER, L’homme humilié, 1950.
  • Correspondance Jacques Maritain, Louis Massignon 1913-1962, Desclée de Brouwer, 2020. Lettre à Maritain, 23/4/1950.
  • L’Ame populaire N° 272, juin 1950.
  • « La situation en Algérie », Esprit, août 1951, Opera Minora,  p.579 

C.Delorme, « Un précurseur du dialogue interreligieux », Salama, juillet-aout  2018.

Nacim El Okbi  « Le Nadi El Taraqqi ou Cercle du Progrès à Alger : origine, activités, rôle dans l’affirmation d’une identité algérienne (1927-1962) » conférence,  janvier 2017. https://glycines.hypotheses.org/478#comments     

Ali Merad, Le Réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940. Essai d’histoire religieuse et sociale, Paris-La Haye, Mouton, 1967, 472 p. 

Ahmed Meriouche, « Le Cheikh Tayeb el Okbi et son rôle dans le mouvement nationaliste algérien », Alger, 2018.

Christian Phéline  “La Terre, l’Étoile, le Couteau. Alger, le 2 août 1936”, Alger, éditions Chihab. 287 pages. 2021

Jean Scelles

  • En terre d’islam,  1936 N°  14, pp. 75-77  
  • « Un retour à Dieu par l’islam »  L’Herne 1970, p. 187

Jeanne Scelles-Millie, Rythmes du monde, tome VIII, N° 2, 1960, pp 120-123, et tome IX, 1963, pp.30-35. 

Sadek Sellam, ibrahim Younessi, J.L. Planche “ Un réformateur venu du désert,  Tayeb el Okbi”  in  Alger 1860-1939, Le modèle ambigu du triomphe colonial , Autrement p.206.



Archives

Alger Républicain, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34451035j/date, nombreux articles d’Albert Camus

Comité d’Entente France Islam, séance du 19/8/1950 consacrée au Cheikh