Violet Susman (1882-1950)

Née en Afrique du Sud en 1892, fille d’un riche industriel anglais, de confession juive, Violet Susman se convertit à la religion catholique lors de ses études en Belgique. Elle est baptisée et consacrée oblate bénédictine sous le nom de Soeur Marie Agnès.

Elle arrive à Paris en 1922, vit très modestement, entourée d’un groupe de catholiques japonais très croyants. Louis Massignon fait aussitôt connaissance, grâce à l’abbé Fontaine de cette « jeune étrangère malade, souffrante, sacralisée aux âmes du Japon », comme il l’écrit dans « Méditation d’un passant au bois sacré d’Ysé ».  Atteinte d’un mal de Pott qui l’empêche de marcher, la jeune femme développe une spiritualité victimaire de substitution chère à Louis Massignon.

Ensemble, ils fréquentent un groupe de convertis au catholicisme, dont les Maritain, Charles Henrion et un autre Japonais, le commandant Shinjiro Yamamoto, en poste à Paris. Tous se rassemblent autour de Vladimir Ghika, prince roumain d’origine orthodoxe devenu prêtre catholique. 

Elle y mûrit avec Totsuka Bunkei (1892-1939), médecin récemment baptisé et futur prêtre – le projet d’œuvrer à la conversion du Japon, par le biais de la fondation d’un hôpital pour les pauvres, de concert avec l’amiral Yamamoto. 

Fervente admiratrice du père de Foucauld, Violet Susman rêve de « foyers d’intense vie chrétienne », comme le rapporte Raissa Maritain dans son journal.
Vladimir Ghika et Charles Henrion secondés par André  Harlaire, (le futur Louis Gardet), suivent son impulsion en projetant la fondation d’une congrégation séculière dans l’esprit du P. De Foucauld, la Fraternité Saint Jean.

Introduite dans le groupe Maritain, se sachant investie d’une, mission particulière, l’énigmatique Violet Susman, souvent qualifiée de « la voyante juive »,  interroge. Alors qu’elle déplait aux Maritain, Louis Massignon est subjugué. Il les prie d’être plus indulgents  « Compatissez à l’esseulement cruel d’une âme privilégiée … » dans une lettre du  18 août 1923  et leur reproche de ne pas  l’avoir « comprise » le 14 mars 1925. 

Après sa guérison « miraculeuse » à Lourdes en 1924, accompagnée du Père Vincent Bunkei Totsuka  et d’une fidèle assistante, Sœur Rose Hermielle Bicknell (1884-1937), Violet Susman part au Japon pour réaliser son rêve de  fondation de l’hôpital du Bon Samaritain, qui verra le jour en 1938 à Sakuramashi, dans un faubourg misérable de Tokyo..
Louis Massignon tente sans succès d’organiser à Paris un comité de soutien pour la fondation de ce premier hôpital catholique japonais.

Paul Claudel, ambassadeur au Japon, mandaté pour en faire un rapport à Paris, n’y est guère favorable. « J’étais extrêmement méfiant de l’aventure qui s’était engagée autour d’elle » écrit-il à S. Fumet 12 avril 1924, tout en reconnaissant un mois plus tard que Violet Susman  a « quelque chose de séduisant et de magnétique ».
Claude Fumet la défend auprès de Paul Claudel le 2 décembre 1924: « Ce que nous avons entendu dire d’elle avait l’air d’assez invraisemblable, – Massignon  la jugeant avec toute son admiration et les Maritain se montrant sévères – /…/. Je ne sais si Violet est une sainte mais il ne me ne paraît pas y avoir de doute  sur l’origine surnaturelle de ce qu’elle a cru être sa mission. »

Après les décès du Dr Totsuka, et de Rose Bicknell, morts d’épuisement à la tâche, Violet Susman est expulsée du Japon en 1943, à cause de sa nationalité anglaise. Contrainte de rentrer en Angleterre, elle se retire dans un couvent à Douvres. Elle y meurt misérablement en février 1950 quelques jours après l’ordination de Louis Massignon, « clouée sur la croix en plein amour de Dieu», comme elle lui confie elle-même. Ce dernier y vit un signe : « ce que je suis devenu, c’est je pense, la première grâce de cet être angélique, Violet Susman, dont les dernières lettres  me sont un « adieu » encore plus fulgurant et déracinant que celui que m’écrivait Foucauld le matin de sa mort», écrit-il à Jacques Maritain le 23 avril 1950.

Aussi, le témoignage de cette « sainte amie  /…./ immolée pour le Japon, priant pour la fraternité Foucauld » devient pour la Badaliya une référence incontournable. Louis Massignon la compte parmi ses chères compatientes.
Lors de son voyage au Japon en 1958, il écrit à Jacques Maritain le 16 novembre 1958, « Mon séjour … me « travaille » en dedans spirituellement: Violet est une SAINTE  et son appel  à la Compassion pour tous les souffrants me déchire».

Mystique expiatrice, souffrante toute sa vie, elle est pour Louis Massignon la « colombe poignardée ». 

FJ et VM



Bibliographie

Louis Massignon, « Méditation d’un passant au bois sacré d’Ysé », 1958, Ecrits Mémorables (EM) II, p. 776-777. 

Louis Massignon « Sur la fondation du premier hôpital  catholique japonais à Sakuramachi », 1960, Ecrits Mémorables (EM)  II, pp.779-781.  Il édita  aussi un Bulletin d’ information, Ake-no-Hoshi 21 rue Monsieur.

Louis Massignon, Badaliya, Au nom de l’autre (1947-1962), Le Cerf, 2011. Lettre VII de décembre 1953, p.92 ; convocation à la réunion de Badaliya, 1 avril 1960, p.258.

Louis Massignon, Correspondance Jacques Maritain, Louis Massignon 1913-1962, Desclée de Brouwer, 2020. Lettres  de  Louis Massignon  des 15 juillet 1923, 23 avril 1950, 16 novembre 1958 , 7 mars  et 29 août 1960.

Louis Massignon, Paul Claudel, Correspondance 1908-1953, Gallimard, 2012. Lettres des 26 avril et 24 mai 1926.

Paul Claudel, Journal, tome 1, 1904-1932,  pp. 721-722, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1968

Paul Claudel, Stanislas Fumet,  Correspondance, 1920-1954, histoire d’une amitié,  L’age d’homme, 1997, pp. 35-36

Raissa Maritain, Journal de Raissa, Desclée de Brouwer, p. 127.



Archives

Bulletin  des Archives Vladimir Ghika N° 2  mai 2015
https://www.vladimirghika.ro/violet-susman/