Cardinal Montini / Paul VI
(1897-1978)

Issu d’une famille catholique, né d’un père démocrate-chrétien, Giovanni Battista Montini est ordonné prêtre en 1922. Auparavant, il étudie à l’Université Grégorienne , tenue par les jésuites, et à la Sapienza, université laïque. En 1921, il est intégré à l’Académie des nobles ecclésiastiques, institution de haut rang qui forme les futurs diplomates de l’Église, y soutient un doctorat de droit canon l’année suivante et étudie le français à Paris. 

En 1923, il est nommé aumônier national de la FUCI (Fédération Universitaire Catholique Italienne) où il prend des positions antifascistes. En 1924, le pape Pie XI le fait entrer à la secrétairerie d’État où il fait fonction de « substitut aux Affaires ordinaires ». En 1938, Pie XII en fait son secrétaire d’État, son « bras droit », jusqu’à sa mort en 1958. Sitôt élu pape, Jean XXIII le nomme cardinal-archevêque de Milan,le plus grand diocèse catholique d’Italie.  Mgr Montini prend une part active au Concile œcuménique de Vatican II ; il est membre de la Commission centrale. Après la mort de Jean XXIII, le conclave l’élit pape en juin 1963 et il prend alors le nom de Paul VI. Il ouvre aussitôt la deuxième session du Concile auquel il imprime un style nouveau d’aggiornamento. Lors de l’ouverture de la troisième session, l’importance attribuée à la question des religions non chrétiennes s’accroît .

Paul VI fait onze voyages apostoliques à travers le monde, s’implique dans l’œcuménisme chrétien, et dans les relations avec divers hauts responsables religieux ; il rencontre le  patriarche Athénagoras à Jérusalem en 4 janvier 1964 et reçoit au Vatican le 14e dalaï-lama, Tenzin Gyatso, le 30 septembre 1973.  
En 1965, il fonde à Rome le Secrétariat pour les non-chrétiens. Le père Jean-Mohammed Abd-el Jalil, musulman converti, franciscain et filleul de L. Massignon, est l’un des premiers membres de la section islam de ce secrétariat. Le PISAI (Institut Pontifical des Études arabes et islamiques) y est domicilié. 

Francophone, fin connaisseur de la scène intellectuelle catholique française, sa sympathie pour le mouvement théologique en France est connue. Il traduit des ouvrages du jésuite Léonce de Grandmaison, suit avec passion les travaux de Jacques Maritain, apprécie l’ouvrage contesté du père Congar Vraie et fausse réforme dans l’Eglise, lit Maurice Zundel et Pierre Teilhard de Chardin, soutient le père de Lubac dans ses tribulations. Cela fait de lui le pape « le plus attentif aux exigences de liberté, d’ouverture et de sérieux inhérents à la vocation de l’intellectuel chrétien », selon Jacques Prévotat.

Scrupuleusement soumis aux lois de l’Église, Louis Massignon a toujours eu le souci de faire approuver et bénir par le Saint Père ses travaux et ses engagements dans la ligne de sa vocation pour les musulmans à laquelle il souhaite donner un rayonnement ecclésial. Déjà, en 1924, il adresse à Pie XI son premier numéro de l’Annuaire du monde musulman ; en 1935, ce sera Les trois prières d’Abraham. 

C’est surtout le baptême de son filleul musulman, Abd-el Jalil, en 1928 qui attire sur lui l’attention du Vatican. Mais pour intéresser le pape à ses causes les plus chères, il lui fallait être introduit : le concours d’amis bien placés lui fut très précieux comme ceux de  Jacques Maritain, Mgr Montini et Mgr Mulla-Zadé, musulman turc baptisé en 1905, professeur au Pontifico Istituto Orientale dès 1924 et animateur d’un groupe de la Badaliya à Rome.

Sa vie est donc ponctuée de demandes d’audience. Si le sujet essentiel reste celui de la Badaliya (« oblation de ma vie et de ma mort pour mes frères musulmans […] de l’incorporation juridique de Hallâj à l’Église » (compte rendu de l’audience du 18 juillet 1934 dans une lettre à Abd-el Jalil, 24 juillet 1934), de la prière du vendredi pour les musulmans et de son passage au rite catholique melkite en vue du sacerdoce (février 1949), tous les autres engagements seront présentés audience après audience. 

En 1945-46, le centenaire des apparitions de La Salette agite tout un petit groupe d’intellectuels parisiens. Louis Massignon demande à Jacques Maritain de toucher Mgr Montini pour une célébration officielle, dans une lettre du 15 novembre 1945.  

A partir de 1948, l’épineuse question du statut de Jérusalem et des Lieux Saints pousse l’islamologue à implorer le pape d’écrire une encyclique sur l’internationalisation de la ville. Après l’audience du 5 février 1949, Mgr Montini commente ses impressions à Mgr Mulla-Zadé le priant de transmettre à L. Massignon, par Abd-el Jalil, qu’« on avait trouvé ses positions trop passionnées ». François Mauriac, reçu peu après, le 7 février 1949, rassure L. Massignon : « Mg Montini et SS Pie XII tiennent ferme pour l’internationalisation, mais ce sont des diplomates flexibles […] qui risquent d’être contrés par le Saint Office. »  De même, le professeur au Collège de France visite la Palestine et rapporte aussitôt à la Secrétairerie d’État sa récente visite à Bethléem, selon la lettre de Mgr Mulla-Zadé à Abd-el Jalil avec mission de transmettre à L. Massignon, du 12 novembre 1949.

En 1949, il fait remettre au pape, par Mgr Montini, sa « prière pour Sodome », selon la lettre de Mgr Montini à Mgr Mulla-Zadé du 15 septembre 1949, l’accompagnant d’une lettre pour défendre la « réalité » historique d’Abraham, et plaider pour une lecture mystique de la Bible et du Coran, désapprouvant l’emploi de plus en plus fréquent de la méthode historico-critique appliquée aux textes sacrés. 

Ce sera ensuite l’annonce de la création des Comités successifs pour « une paix sereine » en Afrique du Nord;  Mgr Montini assure Mgr Mulla-Zadé de la « bénédiction apostolique » du Saint Père, dans une lettre du 19 août 1953, avec appel au jeûne le vendredi, dans sa réponse du 14 octobre 1953. Se réjouissant de toutes ces initiatives, selon la lettre à Mgr Mulla-Zadé du 22 juillet 1953, Mgr Montini rend compte des réactions de Pie XII à Mary Kahil.  Cette dernière écrit aussitôt à L. Massignon : « Le pape m’a solennellement invitée à continuer l’œuvre de salut et de rédemption de la Badaliya. Il m’a alors interrogée sur vous avec tant d’affectueuse sollicitude, il vous est fidèle » (lettre du 17 janvier 1954). Cependant, le père Anawati met en garde l’islamologue de vouloir imposer ses conceptions dans une lettre du 9 août 1955. 

Enfin, à la fin de sa vie, le culte aux Sept Dormants d’Éphèse accapare Louis Massignon qui suggère à Mgr Montini d’y faire dédier, à Rome, la chapelle de la Villa Pallavicini, inoccupée. De même, il souhaite voir l’Église participer à la restauration de la maison de la Vierge à Éphèse, ce qui sera fait en 1959. Il rappelle au prélat « Vous-même m’aviez dit jadis que le pape pourrait s’intéresser dans cet esprit non seulement à nos frères chrétiens séparés mais aussi aux musulmans eux-mêmes : ce jour ne va-t-il pas se lever ? » dans une lettre du 2 octobre 1961. Devenu pape, Mgr Montini s’empressera de reconnaître dans sa première encyclique Ecclesiam suam, que « toute religion possède un rayon de lumière que nous ne devons ni mépriser ni éteindre (…et que) le dessein de salut enveloppe également ceux qui reconnaissent le Créateur, en tout premier lieu les musulmans qui, professant avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, futur juge des hommes au dernier jour ». 

Suite à son pèlerinage au martyrium de Namugongo en Ouganda en 1955, Massignon eut le souci de pousser la cause de Charles Lwanga et ses 22 compagnons. Il écrit au père Jean Daniélou, alors au Concile, d’« insister à Rome » en ce sens.  Paul VI se souviendra de cette supplique car il canonisera ces martyrs, le 18 octobre 1964. 

La « vieille et profonde amitié qui avait lié Paul VI à Louis Massignon » est universellement connue. Le franciscain Giulio Basetti-Sani rapporte qu’au cours d’un entretien avec le cardinal Montini, ce dernier l’entendant citer le nom de Louis Massignon, s’exclama : « Massignon est un Saint vivant, aujourd’hui, dans l’Église ! » 

Différents témoignages attestent de l’attachement de Mgr Montini à la prière de Badaliya, sodalité de prière pour les musulmans dont il aurait fait partie. Mulla-Zadé raconte à Abd-el Jalil que « lors d’une réception en l’honneur de Taha Hussein, à l’ambassade d’Égypte, Mgr Montini lui confie : Chaque vendredi, je prie spécialement pour nos hôtes et pour la portion de l’humanité qu’ils représentent auprès de nous » (lettre du 26 mai 1950).  Lors de son audience du 14 mai 1966 par Paul VI, le père Abd-el Jalil raconte « Le St Père m’a appelé par mon nom pour travailler non loin de lui dans l’organisme que lui-même a créé : il m’avait déjà en 1938 spontanément écrit pour me dire qu’il s’intéressait à ce que je faisais et qu’il priait avec moi le vendredi pour les musulmans. Je suis absolument sûr qu’il le fait encore ».


 

Témoignages : 

« Des indications très nettes montrent que les relations entre Louis Massignon et le futur pape Paul VI avaient largement dépassé le stade des formalités […] les relations d’amitié et de confiance entre Mgr Montini et Louis Massignon prennent une dimension ecclésiale ».

Robert Caspar « La vision de l’islam chez Louis Massignon et son influence sur l’Église »  L’Herne, 1970, pp. 126 -147


« On peut raisonnablement avancer l’hypothèse que la Badaliya a été une des sources de la pensée de Paul VI. Il en était membre. Il priait donc 3 fois par jour et célébrait la messe du vendredi en communion avec les musulmans ! […] La mise en perspective de la Badaliya et de son encyclique Ecclesiam suam par laquelle Paul VI introduit le terme de dialogue de salut comme concept de théologie chrétienne nous fait entrevoir cette filiation. L’encyclique a permis au texte de Nostra aetate de voir le jour. Ainsi, on peut raisonnablement avancer l’hypothèse que si la notion de dialogue pour caractériser la Badaliya est quelque peu anachronique, par contre la Badaliya a contribué à la naissance du dialogue interreligieux ».  

Christian Salenson, « La Badaliya vers le dialogue de la prière »,  Chemins de dialogue n° 55, 2020, p. 50



Bibliographie : 

Avon Dominique, Les Frères prêcheurs en Orient, Le Cerf, 2005, p. 792

Maurice Borrmans, « Paul VI et les musulmans », Islamo Christiana, n°4, 1978

Robert Caspar « La vision de l’islam chez Louis Massignon et son influence sur l’Église » L’Herne, 1970, pp. 126 -147

Florence Ollivry-Dumairieh, « 50 ans après Vatican II : la contribution de Louis Massignon au renouvellement du regard porté par l’Église sur l’islam », Théologiques, vol. 22, n°1, 2014, pp. 189–217

Christian Salenson, « La Badaliya vers le dialogue de la prière », Chemins de dialogue, n° 55, 2020, 41-56

Présence de Louis Massignon. Hommages et témoignages . Textes réunis par Daniel Massignon, à l’occasion du Centenaire de Louis Massignon, Paris , Maisonneuve et Larose, 1987

BAALM, Bulletin des Amis de Louis Massignon, n°22, 2009, n°spécial sur Abdel-Jalil

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