Les routes de René Guénon et de Louis Massignon se sont croisées pour la première fois, il y a presque cent ans. L’un et l’autre comptent, dans les années 20, parmi les intellectuels français à qui l’on n’hésite pas à faire appel dès qu’il est question de l’Orient et, singulièrement, des relations entre l’Orient et l’Occident, une interrogation alors majeure au sein de l’intelligentsia parisienne.
C’est d’abord le philosophe Henri Massis qui sollicite en 1925 René Guénon, auteur d’Orient et d’Occident (1924) ainsi que Louis Massignon pour une enquête, Les appels de l’Orient, entreprise pour Les Cahiers du mois. 
C’est ensuite le journaliste Max Frantel qui publie en 1927 dans la revue Comœdia une série d’entretiens avec René Guénon, le 26 février, et Louis Massignon, le 8 mars, consacrés à « ce grave problème » des rapports Orient-Occident.
Les deux hommes livreront le fond de leur pensée dans ces derniers entretiens où nous pouvons comprendre à notre tour ce qui les rapprochait : leur commun parti-pris pour l’Orient (et contre le monde moderne) ainsi que ce qui rendait impossible qu’ils ne s’allient ni même ne s’accordent : leurs personnalités si dissemblables, leur mission, leur vocation face à l’Islam et surtout deux expériences spirituelles peu compatibles, celle de l’ésotérisme islamique et celle de la mystique chrétienne.

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Louis Massignon et René Guénon sont contemporains. Ils sont hommes de deux capitales : Paris, où ils ont vécu l’un et l’autre, et Le Caire.
René Guénon a partagé son temps entre les deux capitales. À la mort de sa femme en 1928, il quitte la France pour le Caire, en Égypte, où, quelques années après, il épouse la fille d’un cheik. Né dans une famille catholique, il prend le nom islamique d’Abdel Wahid Yahia et se convertit à l’islam. Il ne quittera plus la capitale égyptienne, devenant « l’ermite de Duqqi » (Xavier Accart). Il y meurt en 1951 .
Louis Massignon a, à Paris, sa famille, ses étudiants, ses relations, mais, au Caire, il fréquente tout un réseau d’amis musulmans et chrétiens, parmi lesquels Mgr Medawar et Mary Kahil.

En 1908, Louis Massignon est revenu à la foi catholique au contact des musulmans dont il avait reçu l’hospitalité et sa prière s’est faite active, réparatrice. Quatre ans plus tard, René Guénon est initié à l’ésotérisme islamique et, à partir de 1930, adopte le mode de vie musulman. Il pratiquera le dhikr jusqu’aux derniers jours de sa vie. 

Xavier Accart signale que les deux hommes se sont vus à Paris en 1925, peut-être par l’entremise de Jacques Maritain ou d’Emile Dermenghem. Voici ce qu’en dit René Guénon : 

« J’ai fait la rencontre de Louis Massignon ; il parle beaucoup et il y a chez lui une certaine affectation, qui d’ailleurs se sent aussi dans son style. Il est vrai que ses livres sont difficiles à lire, et d’autre part, s’il a assurément compris certaines choses, il n’a pourtant pas pénétré le fond de l’ésotérisme musulman ». 

Ainsi laisse-t-il entendre que ses recherches exclusives consacrées à Mansûr al-Hallâj ont dissimulé à Louis Massignon tout un large pan de la spiritualité islamique, et peut-être même sa source. Or, ce dernier va s’en convaincre et s’intéresser à partir de 1927 à la figure de Salmân Pâk, l’ami de Muhammad. Il dira d’ailleurs à Mary Kahil, en 1934, qu’il a trouvé en Salmân, une « deuxième pierre d’attente », à côté de Mansûr al-Hallâj.

Cependant, si le « fond de l’ésotérisme musulman » consiste dans l’œuvre d’Ibn ‘Arabî, alors il faut reconnaître que Louis Massignon l’a ignoré. Il y a même dans son esprit une telle prévention à l’égard du Sheikh al-Akbar, que l’on se trouve ici devant un motif d’incompréhension entre les deux hommes, à une nuance près : Louis Massignon a joué al-Hallâj contre Ibn ‘Arabî, c’est indéniable – or, René Guénon, tout en affirmant la primauté de l’œuvre d’Ibn ‘Arabî, ne l’a pas opposée à l’expérience singulière d’al-Hallâj, ce qui est conforme à la tradition islamique. 

À travers son jugement sur l’œuvre d’Ibn ‘Arabî, Louis Massignon semble vouloir confronter radicalement « voie mystique » et « voie ésotérique », la première, typique du christianisme, qui se définit par une expérience intime de la relation avec le Christ, et qui est « voie de l’union » avec Dieu ; la seconde, voie de connaissance, majoritaire en islam, à laquelle on accède par l’initiation, et qui est essentiellement une « voie de l’Unité ». Certes, la voie mystique n’est pas inconnue en islam, où elle est représentée par al-Hallâj, le « martyr mystique de l’islam ». Et, de même, le christianisme n’ignore pas la voie de l’Unité métaphysique, comme en témoigne l’expérience spirituelle d’un Maître Eckhart. Malheureusement, ni René Guénon, qui ne s’en pas avisé, ni Louis Massignon dont la propre expérience intérieure est profondément mystique, n’ont perçu que « par l’essence de sa vision du monde et de sa doctrine spirituelle, Eckhart est plus proche de Shankara que de Saint Jean de la Croix » (Georges Vallin). Et l’on peut même faire le reproche à René Guénon d’avoir prétendu que « le mysticisme appartient tout entier, par définition même, au domaine religieux, donc relève purement et simplement de l’exotérisme ». Ce n’est pas le cas de la mystique rhénane, par exemple, qui s’inspire de Maître Eckhart et de son expérimentation de la voie de l’Unité.

Il reste que l’approche traditionnaliste de René Guénon, l’interprétation de Louis Massignon au sujet de Mansûr al-Hallâj les ont éloignés définitivement l’un de l’autre, sauf en un domaine que confirme Nadjm-oud-Din Bammate : 

« Il y a un point où Massignon et Guénon se rejoignent, où ils se distinguent de tous les orientalistes : tous deux ont maintenu que le soufisme, l’ésotérisme islamique, n’était pas un emprunt de l’extérieur, ni surajouté à l’orthodoxie, mais qu’il était organiquement présent à l’intérieur même du Coran, du langage coranique, de la shahâdah, et qu’il représente donc une dimension essentielle de l’Islam dans sa totalité ».

On croit savoir qu’ils se sont croisés une nouvelle fois au Caire en 1937, mais on sait surtout que, durant ces années 30, René Guénon cherchait à éviter Louis Massignon : « Je sais qu’il fait beaucoup d’effort pour me trouver ici ; heureusement en vain ». Et il lui reproche, comme en 1925, de trop parler, pire, cette fois, il l’accuse de duplicité : « Sa façon de parler change selon ses interlocuteurs » ! 

Aussi bien on se trouve devant deux personnalités aussi différentes que possible, et qui n’avaient sans doute aucun intérêt à se rencontrer à cette époque. On opposera par conséquent la discrétion, presque l’effacement de René Guénon – « Je n’ai pas d’autre mérite que d’avoir exprimé de mon mieux quelques idées traditionnelles », dira-t-il, – et la véhémence parfois de Louis Massignon. 

Le premier a privilégié, spécialement après 1930, la vie sédentaire et retirée, les joies de la vie de famille, quelques rares amis, et une immense correspondance, c’est la vie simple de René Guénon. 

Le second, lui, n’a cessé de parcourir le monde arabo-musulman en tous sens et de rencontrer une multitude de musulmans et de chrétiens d’Orient. Et il s’est engagé assez tôt dans l’action, au nom de la Justice : « La vie de Louis Massignon fut un échange perpétuel entre le passé assumé comme un vœu, le présent vécu comme action poétique, et l’au-delà conçu comme éternité, dans la justice » (Nadjm oud-Dine Bammate).

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Alors qu’ils s’observent depuis dix ans, avec une défiance croissante, ils sont sollicités ensemble pour contribuer au numéro spécial des Cahiers du Sud : L’Islam et l’Occident, qui paraît en août-septembre 1935. Jean Ballard, son directeur, tient à la collaboration des deux hommes qu’il considère comme les deux meilleurs connaisseurs de l’Islam en France. Les Cahiers du Sud avait publié d’ailleurs, lors de la livraison précédente de juillet, un article de Leopold Ziegler consacré à René Guénon. De fait, ce dernier publie en 1935 une étude magistrale au sujet de l’ésotérisme islamique. De son côté, Louis Massignon effectue avec son article sur « l’arabe, langue liturgique de l’islam », une de ses percées métaphysiques dont il a le secret. René Guénon réagit alors vivement au titre de cet article en rappelant l’importance de la distinction à opérer entre langues sacrées (l’arabe, l’hébreu, le sanscrit) et langues « simplement liturgiques » (le grec, le latin) : 

« Cela importe même d’autant plus que nous avons vu un orientaliste [Louis Massignon] qualifier de langue liturgique l’arabe, qui est en réalité une langue sacrée, avec l’intention dissimulée, mais pourtant assez claire pour qui sait comprendre, de déprécier la tradition islamique ; et ceci n’est pas sans rapport avec le fait que ce même orientaliste a mené dans les pays de langue arabe, d’ailleurs sans succès, une véritable campagne pour l’adoption de l’écriture en caractères latins » (Aperçus sur l’ésotérisme chrétien).

On sait que Louis Massignon reviendra sur cette « campagne », définitivement en 1948. Mais le mal est fait, si l’on peut dire, et dans une réédition des mêmes Cahiers du Sud en 1947, il maintient le titre de son article.

Ce n’est certes pas la seule critique que René Guénon formule à l’adresse de Louis Massignon, outre son style – qu’il accuse même Henry Corbin de copier (dans un C.R. de 1947) ! Et pourtant quelque chose les rapproche, qui est leur critique du monde moderne, en des temps où l’on pressent la « fin d’un monde » ou d’un cycle, le Kali Yuga, aussi bien, d’ailleurs, un Georges Bernanos (La France contre les robots, 1947) que René Guénon. Le Règne de la quantité et les signes des temps paraît en 1945, l’année de la naissance de Dieu vivant. Et un an plus tard, un éditorial retentissant de cette revue : « L’avenir de la science », forme comme le pendant de l’ouvrage de René Guénon. Quant au terme qu’ils assignent l’un comme l’autre à ce processus de décomposition où se trouve engagée l’humanité, René Guénon évoque une « chute soudaine et irrémédiable », mais débouchant sur un « redressement » grâce auquel « toutes choses sont non moins soudainement rétablies dans leur « état primordial ». Pour sa part Louis Massignon écrira à la fin de sa vie : « Puisque notre pensée a pu pulvériser l’atome, ne peut-elle pas transfigurer l’univers ? Cela ne saurait être sans un cataclysme cosmique préalable, d’où l’univers ressusciterait en Cité sainte… ».

Un dernier rapprochement est à évoquer : l’influence qu’ils ont exercée pendant des décennies, René Guénon à travers ses œuvres, et Louis Massignon par son enseignement. Le premier a clairement exprimé qu’il n’avait jamais eu de « disciples », et qu’il s’est même « toujours absolument refusé à en avoir ». Au moins un homme, toutefois, reconnaîtra René Guénon comme son maître : Michel Vâlsan. Mais son influence est immense et son œuvre continue d’attirer les jeunes générations. 

L’influence de Louis Massignon se distingue d’abord par le grand nombre de ses élèves, venus autant d’Orient : Taha Hussein, Ali Shariati, les Dominicains du Caire : Georges Anawati, que d’Occident – dont un seul se présente comme son disciple : Giulio Basetti Sani, – et certains devenus intimes tels Youakim Moubarak, ou Vincent Monteil. Elle se définit également par la présence nombreuse de ceux qu’il nomme ses « camarades de travail » : de Théodore Monod à Henry Corbin.

Pour sa part, Gabriel Germain perçoit plutôt chez Louis Massignon une influence cachée où se manifeste le désir d’avoir des disciples :   

« Un homme qui a réellement une âme est un personnage embarrassant ; pour le moins on ne sait où le classer ; souvent il suscite la méfiance des fantoches, espèce nombreuse. Il reste qu’il séduit et persuade mieux que personne ceux qu’un accord intime a prédestinés à le comprendre. D’où l’action que Louis Massignon a exercée discrètement, quelquefois secrètement, sur un certain nombre de consciences et d’intelligences ; c’est à dessein que je mets en tête le mot « consciences », car j’imagine qu’il tenait encore plus à avoir des disciples que des élèves ».

Quoi qu’il en soit, René Guénon avait une mission à réaliser, Louis Massignon, une vocation à accomplir, le premier dans l’ordre de la Tradition primordiale, le second dans le rapprochement entre l’islam et le christianisme. Et ils s’y sont tenus durant toute leur vie. 

Aujourd’hui les œuvres de René Guénon demeurent à l’index, en quelque sorte, dans tous les milieux catholiques où son « gnosticisme » est régulièrement dénoncé, tandis que les « guénoniens » manifestent toujours le même ostracisme à l’égard de Louis Massignon. 

Malgré tout, de nombreux orientaux ont témoigné qu’il était possible de « concilier » l’enseignement des deux hommes. Ainsi Seyyed Hossein Nasr reconnaît-il une double dette dans son Islam, perspectives et réalités (1975) : envers les orientalistes tels Louis Massignon et Henry Corbin comme envers les « auteurs contemporains traditionnalistes d’Occident » : René Guénon, Frithjof Schuon et quelques autres. Et surtout, Najm Oud-dine Bammate (1922-1985) qui les a fréquentés l’un et l’autre, a toujours vu en René Guénon, un Témoin de la Vérité, et en Louis Massignon un Martyr de cette même Vérité, chacun dans sa tradition, respectivement en islam et en christianisme.


Témoignages

René Guénon aura l’occasion de s’exprimer au sujet de Louis Massignon, souvent par des allusions où se manifeste sa méfiance à son égard, tandis que Louis Massignon, pour sa part, n’a évoqué qu’une fois René Guénon. C’est à travers les enquêtes où ils se sont exprimés, dans leurs contributions aux Cahiers du Sud que l’on perçoit le mieux ce qui les oppose dans leurs approches respectives de la spiritualité islamique et de la relation entre l’Orient et l’Occident.

Interview de René Guénon par Max Frantel

M. René Guénon, quoique jeune, ne sacrifie pas à la mode américaine ; il a une moustache noire qui, au haut d’un grand corps maigre, tombe vaguement d’un visage allongé, rêveur et pâle. M. René Guenon a une voix très douce, et c’est d’un timbre voilé, avec des nuances de pianissimo qu’il lance l’anathème à l’Europe.

– On parle d’une menace de l’Orient. Moi je crois qu’il faudrait plutôt parler d’une menace de l’Occident. C’est l’Occident qui a envahi l’Orient, il me semble. C’est l’Occident qui cherche à imposer partout son esprit. Le changer ? Il est dans la mentalité de l’Occident. Et l’Occident va tout droit à sa perte et risque d’entraîner avec lui le reste du monde : L’esprit mauvais, c’est lui.

– Et l’esprit oriental ?

– C’est lui qui est dans la vérité. Car il admet la prédominance de l’intelligence. La spiritualité est pour lui essentielle. La vie contemplative, il la place au premier rang. Les Orientaux ne dédaignent pas l’action, mais ils la jugent inférieure à la pensée et la subordonnent. Ces rapports de la connaissance et de l’action ont fait le sujet de mes derniers articles où j’étudiais la possibilité d’une entente entre l’Orient et l’Occident. Il y a un fait certain, c’est que l’Occident du moyen âge ressemblait beaucoup plus à l’Orient qui n’a que peu varié au cours des siècles. L’Occident, lui, s’est transformé, et l’Occident est maintenant aux antipodes de l’Orient. L’Orient c’est l’esprit de tradition ; l’Occident est la négation même de cet esprit. Nulle conciliation n’est possible. Vous n’avez qu’à entendre parler les Orientaux.

– Vous êtes allé en Orient ?

– Non. Mais j’ai conversé de longues années avec des Orientaux, surtout des Hindous. Mais les Orientaux que j’ai vus ne sont pas des Orientaux pour rire. Ceux qui ont en Europe un nom célèbre ont la plupart du temps été formés à l’Ecole de l’Occident.

Max Frantel, « C’est l’Orient qui détient la vérité… mais ni Tagore, ni Keyserling ne sont ses prophètes nous dit l’orientaliste René Guénon », Comœdia, 26 février 1927


Interview de Louis Massignon par Max Frantel

Mince, racé, qu’il devait avoir fière allure sous le burnous ! Car M. Louis Massignon a porté le burnous et non pas en une promenade à la Mosquée de Paris. M. Louis Massignon a fait maints voyages. Il est allé au Maroc, en 1904 : en Egypte, de 1906 à 1913 ; à Bagdad et au désert en 1907-08 ; il a séjourné à cinq reprises différentes à Constantinople ; il était aux Dardanelles en 1915, à la prise de Jérusalem, en 1917. Il connaît la Syrie, la Turquie. En 1912, il enseignait à l’université musulmane nouvelle du Caire. Aussi M. Louis Massignon ne sait-il pas que la leçon des livres ; et quand il me parle devant sa table, que recouvre une soie bariolée du Maroc, c’est avec une science personnelle, que l’on sent aussi précise qu’intuitive.

M. Louis Massignon me parle de l’Orient musulman.

– On défend l’Islam ou on l’attaque surtout avec des arguments qui ne sont à tout prendre que des préjugés. Orientalisme de pacotille et de bazar ! II faut bien le dire, l’Europe connaît mal l’Orient. Ce n’est point absolument de sa faute ; elle est dupe de certains Orientaux qui ne sauraient à aucun titre représenter l’esprit de leur pays et qui se trouvent avoir à Paris pignon sur rue .
« Ils trompent Londres d’ailleurs comme Paris. Partout ils font illusion aux badauds. Il y a pour les écouter et les admirer tout un cortège d’écrivains et d’artistes !
« S’il n’y avait encore que cela ! Mais ces malentendus s’aggravent d’une inimitié croissante de l’Orient à notre égard.
« Nous avons dépouillé les orientaux au nom de notre civilisation ! La civilisation ! Ils savent très bien maintenant ce que cela veut dire ! Ils en ont assez ! On les a bernés comme l’on berne des électeurs !
« Nos guitares de la liberté et du droit sonnent faux à leurs oreilles. Aussi depuis vingt ans que je suis en contact avec eux je n’ai jamais trouvé plus grande qu’aujourd’hui leur xénophobie. Notre hypocrisie les a lassés ; ils aimeraient mieux qu’on leur ait dit franchement que nous avions besoin de leurs matières premières et de débouchés pour nos produits manufacturés. C’est un aveu que nous n’avons jamais fait et qui nous serait maintenant inutile.
« Nous n’avons cherché que notre gain.
« Nous avons exigé au plus bas prix leurs matières premières, nous les leur avons revendues transformées le plus cher possible.

Max Frantel, « L’orient nous demande compte de son âme détruite… nous dit M. Louis Massignon », Comœdia, 8 mars 1927.


Interview de  Nadjm Oud-dine Bammate par Madame de Gandillac  

Mme de Gandillac : – Guénon a-t-il connu Louis Massignon ?

N. Bammate : – Ils ne se sont pas rencontrés. Ils n’ont même pas été en correspondance, mais Guénon avait, semble-t-il, de l’estime pour Massignon.

Mme de Gandillac : – Comment se fait-il qu’ils ne se soient pas rencontrés ?

N. Bammate : – Il était très difficile en fin de compte de rencontrer Guénon, quoique, évidemment, les possibilités eussent existé. Précisément à l’époque où je vivais au Caire. Massignon y était aussi. Guénon également, et j’avais envisagé une rencontre. Mais tout en manifestant de l’estime l’un pour l’autre, ils n’ont pas éprouvé le désir de se rencontrer.

Mme de Gandillac : – Du côté de Massignon ?

N. Bammate : – Je dirais que le respect et les égards de Guénon pour Massignon étaient plus grands que ceux de Massignon pour Guénon. Mais Guénon avait cette particularité qu’il ne disait jamais que du bien de tous ; je ne l’ai jamais entendu dire une parole désagréable ou méchante sur qui que ce soit. Mais, chez Massignon, il y avait une violence !… C’était un être de feu, alors que Guénon était un être diaphane, transparent, c’était un cristal, un diamant. Ils se mouvaient dans des dimensions de l’être qui n’étaient pas les mêmes.

René Guénon et l’actualité de la pensée traditionnelle, Actes du colloque, Cerisy-la-Salle, 13-20 juillet 1973.


Bibliographie

Textes de Réné Guénon : 
Orient et Occident (1924 et 1948), L’ésotérisme de Dante (1925 et 1969), Le Roi du monde (1927), La crise du monde moderne, 1927, Le symbolisme de la Croix (1931), Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps (1945).
Oeuvres posthumes : Initiation et Réalisation spirituelle (1952), Symboles de la Science sacrée (1962), etc.

Textes 

Nadjm Oud-dine Bammate :

  • Cités d’Islam, Arthaud, 1987.
    https://bammate.fr/ très complet, riche en documents, articles et vidéos.
  • « Massignon, le désir et la prière », Cahier de l’Herne, 1970
  • « Le christianisme, tel que l’a vécu Louis Massignon vu par un Musulman », Présence de Louis Massignon, Hommages et témoignages, Maisonneuve & Larose, 1987

Gabriel Germain, « Louis Massignon » (1962), Rivages des Origines (Archives des Cahiers du Sud), Marseille, 1981, repris dans le Cahier de l’Herne consacré à Louis Massignon, 1970.

Georges Vallin, Voie de gnose et voie d’amour, éditions Présence, 1980

Xavier Accart, « Feu et diamant : Louis Massignon et René Guénon », L’ermite de Duqqi, René Guénon en marge des milieux francophones égyptiens, Archè Milano, 2001.

Jean Moncelon, « René Guénon et Louis Massignon. Les appels de l’Orient », René Guénon, l’appel de la sagesse primordiale, sous la direction de Philippe Faure, Les éditions du Cerf, 2016.

Patrice Brecq [ancien rédacteur en chef de Science sacrée], « Postface à : « L’interview de René Guénon publiée dans Comœdia, le 14 février 1927 », Cahiers de l’Unité, n° 4, octobre-novembre-décembre 2016.

René Guénon, une politique de l’esprit, David Bisson, Pierre-Guillaume de Roux, 527 pages, 29,90 €.

René Guénon et l’actualité de la pensée traditionnelle, Actes du colloque, Cerisy-la-Salle, 13-20 juillet 1973.

« Visites à René Guénon » et « Présence de Louis Massignon », in L’Islam et l’Occident, Dialogues, éditions Christian Destremau/Editions UNESCO, 2000.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-racines-du-ciel/rene-guenon-ou-la-tradition-avec-david-bisson-2914721