Louis Massignon est un « intellectuel catholique engagé », au sens où il n’a cessé de prendre position et de défendre publiquement le sort des opprimés, des exclus, des réfugiés, comme de toutes les victimes d’injustices. C’est même devenu l’une de ses vocations de leur venir en aide, de devenir leur porte-voix et de témoigner de leur condition. Ce rôle de témoin doit être entendu en écho avec son étymologie grecque qui recoupe celle du « martyr » qu’il aurait aimé être. A défaut de donner sa vie à leur place, il s’engage pour leur cause, pour la « Justice » qui doit être éminemment entendue chez lui dans sa dimension divine et eschatologique. L. Massignon demeure un mystique avant tout, si bien que ses engagements pour la paix et la non-violence doivent être entendus comme tels.
Cette aspiration très « chrétienne » à aider les pauvres et les plus démunis remonte à sa conversion et à sa fréquentation de Charles de Foucauld, puis à sa rencontre avec Gandhi. A la manière du Mahatma, il a recours aux « moyens pauvres » que sont la prière, le jeûne, l’hospitalité et le pèlerinage. Son engagement social et politique va s’intensifier et devenir public, notamment au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quand fleurissent de nombreux comités et associations. L. Massignon y prend une part active en co-fondant plusieurs groupes, dont le Comité chrétien d’entente France-Islam (1947) avec André de Peretti, France Maghreb (1953) avec François Mauriac, ou le Comité́ pour l’amnistie aux condamnés politiques d’outre-mer (1954), tout en devant aussi président des Amis de Gandhi (1954). Il est proche de revues comme Esprit d’Emmanuel Mounier, tout en signant des articles dans la presse grand public. Il participe à des manifestations contre la Guerre d’Algérie, ainsi qu’à des sit-ins malgré son âge avancé. En 1958, il est frappé par des partisans de l’Algérie française lors d’une conférence sur Foucauld au Centre catholique des intellectuels français. Parallèlement, il a initié en Bretagne le pèlerinage islamo-chrétien des Sept Dormants « pour une paix sereine en Algérie », en prônant l’hospitalité d’Abraham et la « réconciliation » au sens politique et spirituel du terme
L’intellectuel engagé
1921 / (juin) : Découverte des textes et de la pensée de Gandhi qu’il publie dans la Revue du monde musulman.
1929 / (juillet) : Mise en place des Équipes sociales nord-africaines qui deviendront l’Amicale des Nord-Africains résidant en France (ANARF) en 1948.
1931 / (5 décembre) : Rencontre Gandhi à Paris.
1940 / Après son retour à Paris, reprise des enseignements en octobre, tout en étant proche de milieux résistants (Germaine Tillion, Claude Bourdet).
1941 / (juin) : Participe aux conférences-débats chez l’écrivain Marcel Moré, quai de La Mégisserie. Ces rencontres aboutiront, après-guerre, à la création de la revue Dieu Vivant (Seuil), avec Maurice de Gandillac et Marcel Moré.
1944 / (5 mars 1944) : Chez Moré, « discussion sur le péché » autour des XIV Thèses fondamentales de Georges Bataille. LM y participe avec Sartre, Klossowski, Leiris, Camus, Beauvoir et Merleau-Ponty.
1947 / (Juin) : Création avec André de Peretti et Jean Scelles du Comité chrétien d’entente France-Islam.
1948 / (14 mai) : Proclamation de l’État d’Israël. LM, hostile au partage de la Palestine et favorable à l’internationalisation des lieux saints, s’en fera, dans la presse et en public, un opposant farouche.
1949 / (4-27 août) : Mission en Palestine, au nom de l’épiscopat français, pour venir en aide aux réfugiés palestiniens, aux côtés de Mgr Rodhain, fondateur du Secours Catholique.
1952 / (décembre) : Dénonce, dans un communiqué du Comité chrétien d’entente France-Islam, l’assassinat du leader syndicaliste tunisien Ferhat Hached.
1953 / Devient visiteur de prison auprès des détenus maghrébins de droit commun.
(janvier) : Séjour en Inde, pèlerinage au lieu de l’assassinat de Gandhi. Revoit Jawaharlal Nehru, déjà rencontré en 1935 et 1945.
(6 juin) : Création de l’Association France-Maghreb que préside François Mauriac et dont LM est vice-président, comme Charles-André Julien et Georges Izard. Edgard Faure, Robert Schuman, François Mitterrand, André Malraux, Jacques Duhamel, Robert Barrat ou Albert Camus comptent parmi les premiers adhérents.
(12 juin) : Premier jeûne privé pour la paix en Afrique du Nord
(juillet) : Hommage à la Mosquée de Paris pour les 6 algériens morts pendant les manifestations du 14 juillet.
(septembre) : Article dans Franc-Tireur contre la politique du « fait accompli », après la déposition du sultan Mohammed V du Maroc le 20 août, puis déporté en Corse.
1954 / (février) : Préside le Comité pour l’amnistie aux condamnés politiques d’outre-mer. Est élu Président de l’Association des Amis de Gandhi.
(24 juin) : Meeting à la Mutualité du Comité pour l’amnistie aux condamnés politiques d’outre-mer, aux côtés de Sartre, Camus, Michelet, pour réclamer l’amnistie de six leaders des indépendances, dont Habib Bourguiba, Messali Hadj…
(juillet) : Création du pèlerinage islamo-chrétien des Sept Dormants à Vieux-Marché (Côtes d’Armor).
1955 / (janvier) : Visite, à Madagascar, aux femmes des députés malgaches emprisonnés et rencontre avec le sultan du Maroc, nouvellement déporté à Madagascar.
(25 octobre) : Blessé par une grenade en pleine réunion aux Sociétés savantes à Paris.
(5 novembre) : Restauration de Mohammed V, sultan du Maroc, pour laquelle LM a beaucoup œuvré ; LM et André de Peretti sont reçus par le sultan du Maroc, le 3 mars 1956, en remerciement de leur action en sa faveur.
1956 / Importante tournée de conférences, toute l’année, en France pour défendre la paix en Algérie et pour évoquer Charles de Foucauld.
(juillet 1957) : Reçoit à Rabat, du cheikh ben Larbi Al-Alaoui, la Grand-Croix de l’ordre du Ouissam alaouite, plus haute distinction du royaume chérifien.
(août) : Premier séjour à Toumliline (Maroc), au couvent bénédictin, lieu de Rencontres internationales. Il y retournera en 1957 et y rencontrera Emmanuel Lévinas. Y participent également Mehdi Ben Barka, Youakim Moubarac, Louis Gardet, Jean Lacouture, Denise Masson et le prince Moulay Hassan.
1957 / (mars) : Soutient avec François Mauriac et le pasteur Roser, le Jeûne de 21 jours de Lanza del Vasto contre les tortures en Algerie.
1957 / (22 juillet) : Manifestation, aux côtés de Jean-Paul Sartre et de François Mauriac, place de l’Opéra à Paris.
1958 / (17 février) : Alors qu’il s’apprête à prononcer, au Centre catholique des intellectuels français, une conférence sur Foucauld, LM est insulté et brutalement frappé par des « nervis » de l’Algérie française. Il perd un oeil.
1959 / (18 mars) : Conférence sur Foucauld, organisée par Edmond Michelet à la Sorbonne, pour effacer la marque de l’agression de l’année précédente.
1960 / (30 avril) : LM participe à un sit-in devant un camp de rétention de Nord-Africains, avec Germaine Tillion, Lanza del Vasto et Théodore Monod. Un second sit-in a lieu le 28 mai aux Champs-Élysées où il est arrêté avec Paul Ricœur et Claude Bourdet.
1961 / octobre : A la suite des massacres du 17 octobre 1961, au nom des Amis de Gandhi, dont il est président, Louis Massignon lance un appel, intitulé « Antigone », « à la conscience compatissante de notre race » pour une sépulture décente à donner aux cadavres des musulmans tués » au nom de l’ordre et de la nation, en secret ».