Homosexualité
Longtemps passée sous silence par pudeur ou par gêne, la question de l’homosexualité de Louis Massignon est aujourd’hui plus aisée à aborder en raison de la mort des protagonistes et de l’évolution de la société. Parmi les signes de cette occultation volontaire, puis de la levée du silence, il y a la correspondance Claudel-Massignon : la première édition (Malicet,1973), comporte de nombreuses coupures relatives à ce sujet, à la demande compréhensible de sa femme, Marcelle Massignon, tandis que la seconde (Millet-Gérard, 2012) ne tait rien de ses aveux, et ce, avec l’accord de Nicole Massignon, épouse du fils cadet de Louis Massignon, Daniel. Longtemps tues, les expériences homosexuelles du jeune Massignon ne doivent pas pour autant devenir l’unique clé d’interprétation de sa vie, de son œuvre et de ses actions, ce qui serait tout aussi incomplet et caricatural. Dans cette veine, Laure Meesmaecker, dans son livre L’autre visage de Louis Massignon, avance que « La ligne de force de toute l’œuvre de Massignon, c’est la confusion entre le destin de Sodome et la vocation de l’Islam. »
Une question mérite d’être posée : l’homosexualité de Louis Massignon constitue-t-elle une parenthèse de sa vie, bien délimitée dans le temps ou est-ce une tendance plus profonde qu’il aura par la suite sublimée par une vie d’ascèse et de culpabilité ? Deux types de sources peuvent être examinées : les correspondances et la longue méditation des Trois prières d’Abraham dont la « Prière sur Sodome ». On peut encore citer des écrits inattendus sur Marie-Antoinette, reine « gomorrhéenne ». Le thème de l’homosexualité joue une place importante dans sa correspondance avec Paul Claudel ou Jacques Maritain, si bien que ses lettres semblent une longue confession pétrie d’un sens aigu et lancinant du péché. Cette constante remémoration des « fautes » passées signe-t-elle un profond remord pour un épisode passé mais clos ou trahit-elle la persistance d’une tentation charnelle malgré sa condition maritale et une vie de mortifications ?
De nombreux extraits sont donnés, ici, issus d’une des versions de Notes sur ma Conversion, récit autobiographique de 15 pages, en style télégraphique, écrit pour son confesseur, le père Louis Poulin, en 1922, avec quelques ajouts jusqu’en 1943. Ce texte, sans aucune complaisance littéraire, est pour Louis Massignon : « une espèce de mémento chronologique, me permettant d’entrevoir, à travers l’enchaînement des grâces reçues, des infidélités commises, des engagements pris, l’orientation de ma vie ; ‟l’allusion divine” ». Il s’agit de s’y frayer un chemin dans les méandres de la grâce…
Une jeunesse tourmentée
Louis Massignon fait état, dès sa jeunesse, d’une intelligence, d’une sensibilité et d’une sensualité exacerbées et tourmentées, lui qui se sent pris par « le double assaut des contradictions philosophiques et charnelles ». De ses dix ans, il note : « choix envisagé : virginité, écartée, martyr, désiré », puis à propos de son adolescence, il met en parallèle son « angoisse métaphysique quand il est seul (la plage, le soir, en 1897 : Valandré » et ses « Tentations solitaires nocturnes » qu’il confesse « à l’abbé L.P. (Louis Poulin) qui le prévient qu’il aura à lutter toute sa vie… »
Le service militaire est souvent l’occasion des premières expériences sexuelles dans les maisons closes, lors des permissions. Il n’en n’est rien pour le jeune Louis qui précise : « Réaction de chasteté orgueil, contre la saloperie ambiante, des paysans ou des esthètes. » Il rapporte aussi avoir « refusé de jouer en travesti au théâtre de Mailly », lieu de son casernement. Finalement, c’est à Alger, en janvier 1904, qu’il perd « volontairement » sa virginité « dans une maison de danses andalouses dans. La Kasba. Explosion de vitalité. »
Sa première relation amoureuse est hétérosexuelle se noue avec une jeune comédienne, figurante au théâtre de la Gaîté-Rochechouart. Ils ont « convenu ensemble d’« une liaison sans importance » qui va durer deux ans et s’approfondir ; il note successivement : « j’entrais petit à petit, et de honte en honte, dans l’amertume de l’amour », puis « je décidais d’être aimé d’elle », et enfin « le lendemain, elle m’aimait plus que je ne l’aimais. »
« Une saison en Enfer » : 1906-1908
En novembre 1906, sur le bateau qui le conduit au Caire, Louis Massignon fait la connaissance décisive de Luis de Cuadra, fils du marquis de Guadalmina. Attiré par son allure de dandy et par son parler arabe « de renégat convaincu », il l’aborde et lui confie son « seul désir de comprendre les Arabes, l’Islam », ce à quoi Luis répond : « Pour comprendre, il faut se donner. » C’est ainsi qu’il l’initie à l’homosexualité malgré « mes répugnances physiques, ma révolte virile, il raille l’avare : ‟Vous ne savez pas vous donner”. » Paradoxalement, c’est « dans sa rage de comprendre et de conquérir à tout prix l’Islam » qu’il se livre à des pratiques homosexuelles réprouvées en Orient comme alors en Occident. Par la suite, en Égypte, Louis entretient une liaison avec Yâsîn ben Ismâîl, et évoque des nuits de débauche avec Luis à Alexandrie : « Cependant Luis essaie de me faire jouer comme lui les ‟Messalines de Suburre” (costumes provocants). » Ces expériences le tourmentent en son for intérieur ; il les juge et les subit comme des péchés impardonnables. Il note pour l’année 1907 : « crises de vide intérieurs », puis « été amer : une horreur intérieure croissante me détache de tout, je me cramponne au travail pour ma mission et sur Hallâj. »
Lors de l’éprouvante mission en Mésopotamie du printemps 1908, il s’éprend de son jeune serviteur, Djabbouri : « Je m’attache au jeune visage de mon second saïs, Dj… Son geste de serrer son cheval contre le mien, au guet-apens d’Okhaydir, restant seul de mon escorte auprès de moi sous les balles, me vains le cœur. » Cette relation met en danger son autorité sur sa caravane et « son honneur arabe de chef ». Elle lui vaudra les moqueries et l’opprobre de ses compagnons de bord sur le bateau où se déroulèrent les épisodes dramatiques qui le conduiront à la commotion mystique du 3 mai : la « Visitation de l’étranger ». La nuit du 3 au 4 mai 1908, il note un écartèlement entre sa vocation intellectuelle-spirituelle et sa nature charnelle : « Une même horreur atroce de moi-même me saisit, et me fit garder les yeux obstinément fermés (criant tantôt le nom de Hallaj et tantôt celui de Dj. : de fait, je me débattais entre deux amours). »
Il avoue une dernière expérience homosexuelle fin mai 1908, à Bagdad alors qu’il vient de quitter l’hôpital et regagne sa maison au cœur du quartier arabe. A la date du 28 mai 1908, il note une forte fièvre « après être retombé, une des nuits précédentes, sur la terrasse, dans le péché – la dernière fois. »
L’homosexualité en actes de Louis Massignon n’aura donc duré en tout que 19 mois (novembre 1906 – mai 1908), « une saison en enfer » au sens rimbaldien. Il ne cessera de se le reprocher après sa conversion au catholicisme ; à l’époque, le péché d’uranisme est si grave aux yeux de l’Église catholique qu’il ne peut être remis que par évêque.
« Felix culpa ! » : Le long remord de toute une vie
« Heureuse faute ! », disait Saint Augustin qui, lui-aussi mena une vie dissolue avant sa conversion. Louis Massignon ne dit pas autre chose à propos de Luis de Cuadra : « Aussitôt converti, je m’offris à Dieu pour l’heure de son agonie, ‟c’est grâce à lui que j’ai connu toute la miséricorde divine”. » Leur correspondance « hebdomadaire » durera en tout treize ans jusqu’au suicide de celui-ci à Valence, le 12 août 1921. De même, il écrira à Yasin, revu en avril 1910 et s’inquiétera, en 1923, du sort de Djabbouri devenu « un des premiers tailleurs de Bagdad ».
Suite à sa conversion, ses errements passés, et sa relation avec Luis, sont sublimés et prennent un sens mystique ; ils constituent la première pierre de son vœu de Badaliya (« substitution » en arabe) envers les musulmans. De sa rencontre avec Luis, il écrit rétrospectivement : « Il m’enseigne l’esclavage volontaire à tout ce qu’apporte l’état présent, l’abandon plénier au désir, – par une sorte d’inversion prophétique de la substitution mystique. » De même, lors de la conférence sur Foucauld du 18 mars 1959, il dit : « Ma première et tremblante prière, en arabe, en prison, donnée par vœu au salut d’un ami musulman, renégat désespéré, et à travers Hallaj et lui, à tous mes amis musulmans. » (EM, t. 1, p. 128).
Une femme va jouer un rôle-clé dans ce chemin de « substitution fraternelle » : Mary Kahîl, Issue d’une riche et noble famille melkite du Caire, elle connait Luis de Cuadra, mais ignore son homosexualité. Sa rencontre, le 11 décembre 1912, ébranle Louis Massignon : « En causant avec elle, je m’ouvre un instant sur mes désirs de vie parfaite, devant ce jeune visage levé vers moi avec soif de la vie et qui me rend, pour la première fois depuis 1907, le visage féminin acceptable. Je sors de ce débat troublé (…), outré d’avoir senti faiblir, sous une offensive féminine inattendue, ma misogynie pécheresse, qui, depuis ma conversion, faisait front commun avec un parti pris ascétique “manichéen” condamnant toute chair avec la femme et la procréation. » Le 7 février 1913, ils prononcent ensemble un vœu de substitution et de prière pour la conversion de Luis, avant de fonder la Badaliya à Damiette, le 9 janvier 1934 ; c’est une sodalité de prières dont les membres s’offrent en substitués pour le salut des musulmans « dont l’amour manque à la personne du Christ ». Véritable âme-sœur spirituelle, elle présidera aussi à son ordination, au Caire, le 29 janvier 1950.
La conversion au catholicisme s’accompagne d’un changement de vie radical. Il impose à sa chair des mortifications répétées (port du cilice, sommeil sur une planche). 1908-1909, il confie à propos de cette « première année de persévérance » : « Vœu de chasteté (…) – l’hiver à Paris : repères extérieurs repris. Je me sens encore immergé dans l’envoûtement de mes vices, comme dans un brouillard, et cerné par la commisération profane (”vous pleurerez des larmes de sang, d’avoir renoncé à plaire à vingt-cinq ans” L.de.C). Je ne vis que de foi nue : décidée à rééduquer ma volonté. Ainsi chaque soir, vers 11h., pour m’empêcher d’aller aux promenoirs des music-halls : tenu bon, coups de trique aidant. » Face à son zèle de converti, un prêtre lui conseillera même : « dégoutez-vous paisiblement ! »
Bien que converti et menant une vie chaste, il semble que des désirs homosexuels le taraudent encore en 1910 : « Mais, comme un signe éclatant, la protection divine sur moi, me gardant de toute rechute et du poignard, à Beyâdiyé, 7-11/IV », pour 1911 : « signes de la grâce, sauvé au hammam (3/5) » et pour 1913 : « Résolution de jihad (8/4, 16/6, 21/7/1913) ». A Paul Claudel il confie son désarroi dans une lettre du 7 janvier 1910 : « Je me sens toujours si lâche (en esprit) dans cette Égypte qui pourtant m’obsède moins que le mois passé. Maintenant cette dépersonnalisation momentanée de soi au profit d’idées mauvaises dont on ne veut plus n’est peut-être qu’une forme d’expiation. »
Des signes d’un perpétuel repentir concernant sa jeunesse pécheresse sourdent encore dans une lettre écrite à François Mauriac, le 23 avril 1953, où il mentionne ses remords à l’égard de Djabbouri : « Je l’ai si mal remercié, alors, je n’ai pas su respecter en lui l’Hôte de Dieu, venu pour me sauver de la Cité Maudite. » (Meesemaecker,p. 89).
Un temps porté par le projet d’une vie d’études et d’ermite au Sahara, en succession de Charles de Foucauld, il finit par céder au souhait de sa mère et se fiance à une cousine du côté maternel, Marcelle Dansaert-Testelin, en septembre 1913. A cette nouvelle, dans une lettre du 1er décembre 1913, Paul Claudel lui reproche de se marier « par pénitence » ce à quoi il répond : « Non, je cédais à ce mendiant qui est l’Amour. » Le mariage est célébré à Bruxelles, le 27 janvier 1914. Le voyage de noces a pour destination l’Algérie ; le jeune marié veut y présenter sa femme à Charles de Foucauld mais doit y renoncer car la zone n’est pas sûre. Loin d’opter pour un mariage blanc comme le couple Jacques et Raïssa Maritain, Louis et Marcelle auront trois enfants : Yves, Daniel et Geneviève.
Prières pour Sodome
La vie de Louis Massignon est scandée par « un calendrier personnel » qui est « une perpétuelle remémoration des événements vécus par lui et par les autres, liturgiquement célébrés à leur annuel retour ; d’où ces pèlerinages qui le ramènent sur les lieux, eux aussi liturgisés, stigmatisés et cette ritualisation de son existence (et de son œuvre). », selon Dominique Millet-Gérard.
Parmi les rituels qu’il élabore, trois se rapportent aux homosexuels. Le 4 juillet 1920, il institue un triple Angélus : « Aube – Juifs, péché contre l’Espérance, Midi – Musulmans, péché contre la Foi ; Soir – Sodome, péché contre la charité ». Cette dernière prière avait été instituée dès 9 octobre 1908. De plus, en 1943, il fonde une « messe mensuelle pour Sodome » qui sera célébrée par le Père Daniélou. Il n’aura de cesse de faire reconnaitre par le Pape, cet apostolat auprès « de nos frères perdus », non sans rencontrer réticences et refus de la part du pape Pie XI en 1923 et en 1934-1935.
Enfin, suite à son pèlerinage au martyrium de Namugongo (Ouganda) en 1955, Louis Massignon a le souci de pousser la cause de Charles Lwanga et ses 21 compagnons, « martyrs de la chasteté virile », suppliciés en 1886 pour s’être refusés à un roi africain. Il écrit au père Jean Daniélou, alors au Concile, d’insister à Rome en ce sens. Le pape Paul VI, qui est un des destinataires de « la prière sur Sodome » en 1949, les canonisera, le 18 octobre 1964.
Louis Massignon médite sur Sodome. C’est la première des Trois prières d’Abraham. Une première version est rédigée entre 1925 et 1927. Le premier envoi d’une deuxième version débute en 1929 et concerne 110 personnalités. À la vue des réactions reçues, il en divulgue une troisième version en 1949 et l’adresse cette fois à 134 destinataires ; puis de nouveau il l’annote et ce, jusqu’à sa mort en 1962.
Une édition critique en est proposée par Daniel Massignon en 1997. Cette prière sur Sodome s’ancre dans la geste abrahamique, le Père des croyants ayant intercédé auprès de Dieu, par cinq fois, pour la ville pécheresse. « Sodome est la cité de la fausse hospitalité qui a voulu abuser des anges, donc la cité du péché contre le Saint-Esprit ». L’article d’une éblouissante et obscure érudition passe en revue les traces de l’homosexualité à travers le temps et l’espace. Louis Massignon y croise exégèses biblique et coranique, histoire et ethnologie, médecine et psychologie, littérature et art et ce, pour mieux insister sur les impasses et la perversion profonde – selon sa conception – de l’inversion. Seule porte de sortie pour ces « reprouvés », la chasteté, une vie de sainteté solitaire sous la protection de la Vierge Marie et l’aumône de la substitution mystique : « Il faut d’abord que l’on prie et souffre pour eux tous – en silence et à leur insu – en union intime avec Jésus crucifié, dans la communion de toute l’Église, et spécialement avec les âmes, solitaires et contemplatives (…) stigmatisés et compatients isolés à qui Dieu donne ici-bas la passion cachée d’intercéder devant sa Face, comme le fit Abraham jusqu’au bout ; avant que le feu de la justice flambe.».Il s’agit donc non seulement de prier sur Sodome mais d’intercéder pour Sodome.
Ce texte condamne l’homosexualité, même élevée au rang esthétique d’amour platonique, mais pas les homosexuels susceptibles eux-aussi de rédemption. Louis Massignon n’en donne pas moins une définition curieuse : « le véritable uranisme : désir du ciel sans désir de Dieu », signe d’une ambivalence certaine. Cette ambigüité transparaît aussi dans une lettre à Vincent Monteil, du 19 septembre 1960, parue dans Le linceul de feu,: « Spirituellement, il y a la camaraderie virile, du front, du rang, du désert, — avec toutes ses déviations perverses, — que le code militaire n’ose pas réprimer, — car elles sont justiciables du Feu, mais la discipline militaire n’existe qu’en fonction de la ligne de Feu. J’ai beaucoup réfléchi, écrit, souffert, là-dessus. C’est le mystère viril, comme la prostitution est le mystère féminin. Il faut traiter ce problème terrible avec gravité et discrétion, sans complaisances pour les caquetages à la Cocteau, sans concessions aux excuses laxistes. » Si bien qu’on peut se demander si Louis Massignon n’est pas resté inconsciemment sensible à l’homosexualité malgré une vie de pénitence et de remords. A moins que cela ne soit plus profond…
« La féminité mystique » de Louis Massignon
Des contemporains ont été frappés par l’aspect féminin de Louis Massignon, au premier rang desquels Joris-Karl Huysmans qui rapporte dans une lettre du 29 octobre 1900 à Léon Leclaire, sa première entrevue avec le jeune étudiant : « Visite inattendue avant-hier. Arrivée par le train de 2 heures du plus charmant jeune homme qui se puisse voir. Il était porteur d’une lettre de Roche qui présentait son fils ! Je l’ai gardé à dîner… Il a la voix exacte de son père, mais doit ressembler étonnamment à sa mère, car c’est une figure de femme qu’aisément on imagine. ». Louis Massignon lui-même rapporte dans ses Notes sur ma conversion : « racontars anciens. Allaï Eff. m’avertit : Pourquoi ton Père te laisse-t-il voyager seul, avec les yeux que tu as ? – Il a confiance en ma fierté. »
Mais tout ceci demeure superficiel au regard d’un autre enjeu : la signification spirituelle du féminin chez Louis Massignon car « sous le rapport spirituel, le monde intérieur de Louis Massignon est un monde essentiellement féminin. », comme l’écrit Patrick Laude. Pour lui, l’intériorité spirituelle ordonnée à l’accueil de l’Amour divin, se trouve associée au féminin, par opposition au respect extérieur et masculin de la Loi. D’où l’importance des figures de compatientes dans son univers intérieur ; Marie, Fatima, Sainte Christine l’Admirable, Anne-Catherine Emmerick, Mélanie de la Salette ou Marie-Antoinette sont autant de fils de trame invisibles qui forment l’envers secret de l’histoire profonde du Salut, alors que le récit historique officiel a tendance à ne retenir que les fils de chaîne, visibles, assimilés aux actions masculines.
Louis Massignon pense par couple d’archétypes opposés donnant la primauté spirituelle au pôle féminin qui a le privilège de l’intériorité : ainsi, le vœu secret, féminin s’oppose au serment public, masculin ; le dhikr (la prière du cœur silencieuse, surérogatoire de la voie sûfî) à la chahada (la profession de foi légale, un des cinq piliers de l’islam), la religion de l’Amour et la religiosité de la Loi, etc. Cette mise en ordre du monde ne débouche pas sur un manichéisme car le féminin s’accomplit aussi en exprimant sa part masculine, comme dans la figure de Marie-Antoinette. Le « point vierge » qui constitue l’essence toute pure de l’âme est le point de contact avec Dieu, or c’est la partie féminine de l’être, le lieu du consentement à la Vérité et de l’hospitalité sacrée (accueillir à l’intérieur). Aussi, le Fiat marial est présenté comme l’acmé de la vie spirituelle : il y a fondamentalement une part féminine dans l’abandon à Dieu de tout mystique, a fortiori chez Louis Massignon.
Bérengère Massignon, docteure de l’EPHE
Textes de Louis Massignon :
Notes sur ma conversion de 1922, avec ajouts jusqu’en 1943, texte inédit dactylographié (NC). Il en existe plusieurs versions dactylographiées plus ou moins complètes et non publiées.
Écrits Mémorables, t. 1, 2009 : « Toute une vie avec un frère parti au désert : Foucauld », pp.125-133, texte de sa conférence lue le 18 mars 1959, à la Sorbonne, pour le centenaire de sa naissance.
Parole donnée, (1962), 3e édition, Le Seuil, 1983
Les Trois prières d’Abraham, Le Cerf, 1997, édition établie par Daniel Massignon. Prière sur Sodome, p.34, p.56, p.40
Bibliographie :
Braises ardentes, semences de feu. Paul Claudel – Louis Massignon correspondance 1908-1953, édition établie, présentée et annotée par Dominique Millet-Gérard, Gallimard, 2012, p.14
Bulletin de l’Association des Amis de Louis Massignon, n°10, 2007, p. 11 : Lettre de J.K Huysmans à Léon Leclaire du 29 octobre 1900
Jacques Maritain & Louis Massignon – correspondance 1913-1962, présentée, établie et annotée par François Angelier, Michel Fourcade et René Mougel, Desclée de Brouwer, 2020
Patrick Laude, Massignon intérieur, Delphica/L’Age d’homme, 2001, p.65
Laure Meesemaecker, L’autre visage de Louis Massignon, Via Romana, 2011, p. 138 et p.89, lettre de Louis Massignon à François Mauriac du 23 avril 1953
Vincent Monteil, Le Linceul de feu, Vegapress, 1987, p.248-249
Manoël Pénicaud, Louis Massignon, le « catholique musulman », Bayard, 2020